Réflexions sur un coup de pédale : Ecosystèmes forestiers au Canada

Le Canada est un grand pays. J’ai même envie de vous dire que c’est un très grand pays. Pour vous aider à vous en rendre compte, voici une petite comparaison avec la France : imaginez vous porter une marinière à Brest, pouvoir parler français à Moscou et que la baguette soit reine du petit déjeuner à Bucarest. C’est à peu près la taille du pays. Ce qui frappe dans ce très grand pays, que nous avons traversé en vélo et en bus, c’est l’omniprésence des forêts. Peu importe la direction où vous regardez, les arbres sont partout ! Du coup, nous trouvions intéressant de vous parler de ces arbres et de ces forêts avec un peu plus de détails. L’idée est de vous faire vivre cette expérience boisée et de ressentir la puissance que ce milieu dégage au Canada, à travers les études en sciences forestières que Victor a réalisé il y a quelques années de cela, nos rencontres au fil du voyage et notre ressenti sur place.

1. C’est beau d’avoir des arbres partout mais à quoi bon ? Quel est l’intérêt pour l’Homme de garder des arbres ?

Pour simplifier l’importance de la forêt, nous vous proposons 5 exemples de fonctions majeures, parmi beaucoup d’autres, qui touchent directement la qualité de vie de l’Homme.

Le premier point, rien de nouveau, on vous le rabâche depuis des années, les forêts sont des puits de carbone qui transforment le dioxyde de carbone en dioxygène ; gaz essentiel à la vie sur terre. Ainsi, les forêts contribuent à séquestrer en partie le fameux CO2, et participe ainsi à lutter contre le réchauffement climatique.

Mais la forêt a [beaucoup] d’autres fonctions essentielles pour l’Homme. Elle permet de filtrer l’eau que nous buvons, qui est également essentielle à la vie sur terre. Le système racinaire des arbres composant la forêt retient l’eau, lui laisse le temps de s’infiltrer dans le sol et capte parfois certains polluants chimiques. Ensuite, les différentes couches qui composent le sol agissent comme un filtre jusqu’à la nappe phréatique, et garantissent ainsi une eau de qualité !

Qui plus est, elle permet de ralentir l’érosion des sols et de retenir les sédiments lors de pluie. Ces sédiments contiennent les nutriments essentiels à la vie sur terre également ! A titre d’exemple, Haïti a connu des périodes de famines terribles dues à des récoltes très mauvaises. La raison : une érosion massive des sols suite à une déforestation massive des terres. Les nutriments nécessaires aux plantes sont lessivés lors d’évènements pluvieux et ne sont alors plus disponibles pour l’agriculture.

La forêt représente aussi une incroyable source de matière première et un énorme potentiel énergétique au sein d’un territoire donné. Depuis la nuit des temps, les hommes se servent de la forêt pour construire des outils ou leurs habitations à partir de bois. On se sert aussi du bois pour se chauffer à travers le monde entier. La forêt est bien souvent, avec l’eau, au cœur du fonctionnement des communautés locales. Lors de notre visite au GREB, la forêt jouait un rôle essentiel : le bois constituait la charpente de toutes leurs maisons et représentait un moyen de chauffage important. Enfin, la forêt était aussi au cœur de leur réflexion en terme de fourniture énergétique dans un monde post-pétrolier.

Et juste pour le plaisir de vous montrer que les arbres et les forêts sont essentiels à toutes nos vies respectives, les forêts sont des lieux de récréation très prisés. Aussi bien en milieu urbain ou en milieu rural, pensez à tous les coureurs, les vététistes, les cueilleurs de champignons, les chasseurs, les estomacs pleins du dimanche midi, les promeneurs de chiens, les cavaliers, les dépressifs, les amoureux… Tous apprécient à leur manière la forêt ! Il semblerait d’ailleurs qu’une promenade en forêt soit bonne pour la santé et contribuerait à réduire les maladies cardiaques et l’hypertension. Bref, les forêts sont essentielles au bien-être humain.

2. Deux trois définitions pour ne pas se mélanger les branches

D’après la définition de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), une forêt s’étend sur « une superficie de plus de 0,5 hectare (5 000 m2) avec des arbres atteignant une hauteur supérieure à 5 mètres et un couvert forestier de plus de 10%, ou avec des arbres capables de remplir ces critères. » Une bien belle définition qui ne nous aide pas beaucoup. Prenons un autre terme, nous permettant de mieux comprendre ce qu’est une forêt : celui d’ « écosystème forestier ». En effet, une forêt est avant tout un réseau de connections entre espèces. Pour vous aider à comprendre cette notion, imaginez randonner dans une plantation de peupliers, de belles allées parfaitement alignées. Ce type de plantation pourrait rentrer dans la définition proposée par la FAO. Auriez-vous le sentiment de vous promener en forêt ? Sûrement pas. Dans une forêt, on doit aussi trouver tout un tas d’autres espèces végétales ou animales, telles que des chevreuils, des fougères, des chênes, de la boue, des pins, des sangliers, des crapauds, des ronces, parfois des ours, etc… Une forêt est un tout interconnecté, scientifiquement appelé « écosystème ». L’équilibre entre ces espèces et ce milieu est fragile, une modification infime de cet équilibre peut avoir des conséquences catastrophiques.

 Et puis on parle souvent de la forêt, au singulier, mais l’emploi du pluriel serait plus juste : nous avons tenté de vous le décrire comme nous l’avons pu à travers nos quelques notes de blog, mais les forêts au Canada sont extrêmement diversifiées : entre les forêts de feuillus et de conifères, les forêts boréales ou pluviales, les forêts sont le reflet d’un savant mélange entre conditions climatiques et géologiques dont l’immensité du pays induit un nombre de contextes environnementaux différents très important !  Et chaque type de forêt possède un fonctionnement et un cycle de vie qui lui est propre !

Comme nous avons pu nous en apercevoir, les forêts canadiennes sont le refuge de quelques unes des espèces les plus emblématiques du pays : des orignaux, des renards et des chevreuils au Québec ; des ours et des saumons en Colombie Britannique. La présence de ces animaux emblématiques sur les pièces de monnaie du pays témoigne de l’attachement des Canadiens à leur Nature sauvage et grandiose, et pour laquelle les écosystèmes forestiers sont un véritable pilier.

Ici réside la vraie problématique forestière canadienne (si ce n’est mondiale). Reprenons: la forêt est donc un écosystème naturel et fragile, mais c’est aussi une ressource naturelle qui représente beaucoup d’argent pour le Canada. D’une part pour le bois qu’elle fournit et les emplois associés (pâte et papier, construction, combustible) et d’autre part pour son potentiel écologique et touristique.

Cependant, exploiter ces deux potentiels en même temps est particulièrement compliqué et représente un véritable défi pour le pays. Le Canada prend peu à peu conscience du potentiel touristique lié à ses espaces naturels. Après des années de gestion axées sur la production de bois, les traditions d’exploitation forestière sont profondément ancrées dans les valeurs des canadiens, si bien qu’il est parfois difficile de démontrer qu’une forêt debout et en bonne santé peut rapporter tout autant [si ce n’est plus] qu’une forêt coupée. Lors de notre passage à la forêt Montmorency, nous avons pu percevoir un petit peu ces divergences d’opinions au sein des différents étudiants : entre ceux qui étudient les « opérations forestières » et ceux en « aménagement forestier », les sensibilités ne sont pas toujours les mêmes. Et on a même pu ressentir parfois un peu de méfiance à notre égard, nous les potentiels « écolo » ou « treehugers ».

Par ailleurs, nous nous sommes rendus compte que la foresterie québécoise fait face à une certaine incompréhension de la part du grand public, provenant sûrement des informations véhiculées par les médias. Certaines organisations écologistes ou certains documentaires (par exemple « L’erreur boréale » de Richard Desjardins, 1999) ont mis en évidence des pratiques forestières comme la coupe à blanc et le brûlage dirigé. Sans entrer dans les détails de ces pratiques, beaucoup de raccourcis ont été faits concernant l’impact écologique de ces pratiques. Néanmoins, les médias, malgré la confusion autour des questions forestières, ont permis de mettre la gestion forestière sur le devant de la scène.

Actuellement, le Canada a pris un sérieux virage en faveur de la protection de son patrimoine forestier. L’aménagement dit écosystémique est en plein boom. En quelques mots, il s’agit de gérer la forêt sans altérer les fonctions et les cycles naturels de celle-ci. Le Québec a proposé en 2010 une nouvelle stratégie de gestion des forêts visant à mettre en place un aménagement écosystémique : la Stratégie d’Aménagement Durable des Forêts (SADF). Certains experts forestiers s’avancent à dire qu’une gestion écosystémique bien réalisée permettrait de protéger efficacement à la fois les écosystèmes et les espèces sensibles, tels que le loup ou le saumon, tout en garantissant une viabilité économique permettant une meilleure productivité à long terme.

En attendant d’atteindre une gestion parfaite, le Canada possède un outil exceptionnel pour protéger sa nature : les aires protégées, dont font partie les Parcs Nationaux. Par exemple, au Québec, les aires protégées représentaient 9% du territoire en 2013 et visaient 12% à l’issu de l’année 2016, alors qu’à l’échelle mondiale, on se situe autour de 3%.

3. Les parcs nationaux et leur tourisme de masse

Initialement, un parc national avait pour vocation de préserver un territoire dans un but de récréotourisme. Aujourd’hui, les parcs nationaux mettent en place une véritable gestion où la restauration des écosystèmes dégradés est mise à l’honneur. On vise à limiter l’intervention au sein des forêts, en laissant le bois mort sur place et la coupe de bois est proscrite, hormis en cas d’urgence (feux de forêts, maladies ou insectes ravageurs). Dans une thématique analogue à la gestion des forêts, le parc national de Banff a mené en 2012 un grand plan de réintroduction de truites dans lacs de têtes (lacs au plus proche des sources) (voir cet article et cette vidéo). Dans ces milieux montagnards, la connectivité écologique au sein d’un réseau hydrologique peut être entravé avec, par exemple, une barrière naturelle infranchissable telle qu’une immense cascade. Initialement, la plupart des lacs de têtes ne contiennent qu’une seule espèce de poisson, mais des ensemencements volontaires ont modifié la composition faunique de ces lacs exceptionnels. Les plans de restauration pratiqués par les parcs nationaux ont alors pour but de rétablir la composition faunique (ou végétale) originelle.

Contrairement à l’approche européenne, les parcs nationaux nord américains visent une nature plus sauvage. L’harmonie entre la nature et les activités humaines d’exploitation des ressources naturelles n’est pas recherchée. Les activités humaines comme la foresterie et l’agriculture sont ainsi bannies de ces territoires. D’ailleurs, l’entrée d’un parc national nord américain est physiquement marquée par un centre de service où chaque visiteur doit s’acquitter d’un droit d’entrée. Au premier abord, il est désagréable, pour nous européens, de devoir sortir le porte monnaie pour pouvoir pénétrer dans cet écrin de verdure, mais en y réfléchissant, à travers cette barrière financière, la nature est mise sur un piédestal. Le parc national se transforme en parc d’attraction. Le public participe ainsi à améliorer la protection du site en payant. Des infrastructures (campings, hôtels,…) sont mises en places pour limiter l’impact des visiteurs. Ces lieux deviennent aussi économiquement viables (le nerf de la guerre !) et ainsi il est moins tentant de vendre ce territoire (à des compagnies minières par exemple).

4. Ressenti des cinécyclistes

Nous avons pu nous rendre très fortement compte de cette gestion dans le Parc National de Jasper où les cars de touristes affluaient par dizaines simplement pour découvrir les « hotspots » du parc. Pourtant, en France, les parcs nationaux et régionaux du pays ne semblent pas bénéficier du même engouement et les cars de touristes semblent plus attirés par les boutiques de luxe sur l’avenue des champs Elysées. Pourtant beaucoup de nos parcs n’ont rien à envier aux Rocheuses Canadiennes. Nous nous demandons alors quel serait l’effet qu’un prix d’entrée (même de 5 euros) sur le nombre de visiteurs au Parc National des Cévennes par exemple. Ce prix permettrait-il de « valoriser » le parc et instaurer une logique plus rentière entourée d’une plus grande communication et de plus de services ?

Monétariser la Nature et attirer des touristes à travers des parcs d’envergure, est-ce le meilleur moyen pour la protéger ? Nous n’avons pas la réponse… Bien entendu, des inconvénients apparaissent, comme parfois trop de touristes sur certains lieux précis ne permettant plus de l’apprécier pleinement : nous avons été assez horrifiés de devoir payer pour avoir le droit de faire un petit feu de bois dans un foyer protégé au sein d’un camping officiel, ou de voir des cars amenant des touristes par centaines directement SUR des glaciers. Assez fatalistes, nous nous demandons si ce n’est pas le prix à payer pour avoir de tels parcs. Nous ravalons sûrement aussi une légère jalousie : rien n’est plus frustrant que de monter des cols avec nos vélos chargés, y laisser quelques calories, quelques gouttes de sueur, et d’arriver devant une foule de touristes arrivée en voiture ou en bus. Finalement, cette gestion permet d’ouvrir le parc au plus grand nombre (jeûnes, agés, sportifs ou non, handicapés) et de sensibiliser les gens à leur environnement, magnifique mais aussi fragile. Mais dans une logique ou la plupart des gens « consomment » seulement les plus beaux endroits du parc, quel sentiment en gardent-t-ils ?

Concernant la gestion des parcs, nous nous sommes rendu compte à quel point l’espace est une notion clef. Dans le passé, faire une gestion intensive en tentant d’optimiser la production sur de petites superficies n’était pas nécessaire au Canada  de par la superficie des forêts. De nos jours, nous avons pu voir à quel point ce pays tente de prendre le virage vers un développement plus durable, en renversant leur tendance à utiliser l’espace dans son entièreté et en optimisant la gestion sur de petites surfaces. Des choses particulièrement intéressantes émergent, comme le projet d’aires protégées polyvalentes visant à associer conservation des écosystèmes forestiers et exploration modérée des ressources naturelles, ou encore l’aménagement écosystémique et la restauration des écosystèmes exceptionnels.

Nous nous rendons également compte du potentiel commercial et écologique astronomique de la forêt canadienne. De la sève coule dans les veines des canadiens, leur attachement à cet environnement est si fort. Cet ancrage des canadiens à la forêt soulève d’autres problématiques, notamment le pouvoir financier de la forêt et sa capacité à créer des emplois. Une partie des canadiens se positionne contre les changements qui s’opèrent notamment en faveur d’une meilleure protection des forêts. La peur de perdre des emplois prend parfois le dessus. C’est tout le défi auquel doivent faire face les universitaires et les organisations écologistes, afin de prouver qu’une forêt mieux gérée et des écosystèmes forestiers en bon état peuvent être une réelle source d’emploi en plus de contribuer à améliorer le bien être commun.

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