« Hoollywwooooooooooodd, can make all this world seem right »

Par Victor David

A l’ombre d’un toit surplombant une petite terrasse à la sortie du magasin général de Furnace Creek, cœur de la Death Valley, je me laisse bercer par le grincement d’un rockingchair. Depuis la veille, je suis seul. Mes parents ont traversé la deuxième moitié de la Death Valley sans moi, direction l’aéroport de Los Angeles. Dire qu’aucun sentiment de tristesse ne m’a traversé lorsque j’ai vu s’éloigner le camping car, celui même qui nous a conduit à Las Vegas, au Sequoia National Park, à Monument Valley ou encore à Zion National Park, serait vous mentir. Pourtant, j’apprécie finalement ces 24h de repos, plus ou moins seul. Les vacances scolaires françaises ont commencé et il semblerait que la Californie soit une destination à la mode… L’idée de reprendre la route et de retrouver Guillaume et Tom me remonte vite le moral. Seul persiste une once d’inquiétude, je n’ai pas eu de nouvelle de mes camarades de bicyclette depuis une bonne semaine, et je n’ai aucune certitude quant au jour et à l’heure de leur arrivée. Après une deuxième matinée sur ce fameux rockingchair, j’aperçois deux êtres à vélo, les couleurs des sacoches semblent correspondre à Tom et Guillaume mais la couche de poussière sur leur peau me laisse douter. A peine le temps de réaliser qu’ils viennent de traverser la moitié d’un des déserts les plus chauds au monde, que le « pssiiittt » d’une cannette de bière fraiche vient accompagnée nos retrouvailles.

On the road again !

Premiers coups de pédales sous la pluie, et oui dans le désert, on retrouve rapidement nos marques tous ensemble. La journée s’enchaîne finalement sous le soleil. Que ce soit en vélo, en voiture, en autobus ou en tracteur, rien n’est pire qu’une ligne droite à perte de vue pour la santé mentale. En plus de posséder cet attribut démotivant, la Death Valley est si vaste que tout point de repère disparaît, il n’y pas un seul arbre pour se rendre compte des perspectives. Le fond des vallées se trouve sous le niveau de la mer (environ -60m) et les montagnes nous entourant dépassent les 1500m d’altitude. Une question nous obsède, est-ce que ça monte, est-ce que ça descend, est-ce que c’est plat ? Rien de pire que d’avoir la sensation visuelle que la route descend et que le compteur de vitesse ne dépasse pas les 9km/h. On se fait une raison, on pédale sans vraiment y penser et on rejoint un petit camping avec vue sur les étoiles du désert. Le lendemain, on se fait rattraper par un couple d’Allemands, déjà brièvement rencontrés à Furnace Creek. Nous décidons de faire un bout de la route ensemble. Un petit groupe de cinq pour affronter le terrible vent de face de la Death Valley. 25km tout droit, plein de poussières et surtout un campement improvisé sur le bord d’une route quasi déserte, au milieu du désert, où nous avons vu des coyotes quelques heures plus tôt. La soirée est magique. Imke et Ralph (leur blog) sont vraiment très sympathiques, nous décidons même de poursuivre notre route ensemble jusqu’au repas du lendemain midi. Ensuite, nos routes se séparent. Nous descendons vers Los Angeles alors qu’eux remontent vers San Francisco. Une superbe rencontre, nous leur souhaitons d’ailleurs tout le meilleur jusqu’en Australie !

Je vous passe les 300km suivant plutôt monotones, au milieu des pickups américains, le long d’une autoroute jonchée de Mcdonalds et de Dunkin’ Donuts. Seul le passage par un village fantôme, le soir d’Halloween nous sort de notre torpeur kilométrique. Il est presque un peu angoissant de s’attarder dans ce village désert à la tombée de la nuit, où le risque de croiser le zombie de John Wayne semble bien réel.

Notre arrivée à Los Angeles est idéale, 20km de descente sur des petites routes de montagnes, serpentant à travers les cactus et les autres cyclistes venus se mesurer au col. Nous avons une vue plongeante sur la ville durant toute la descente. Celle-ci est quelque peu entachée par les crevaisons à répétition de la brave monture du Biguoté (Alias Blanchiquito ou encore Moutchachu, c’est comme ça que nous l’appelons depuis notre arrivée en Colombie). Vous aurez tous compris qu’on parle de Guillaume. Nous sommes attendus par Joe, qui vit au sein d’un écovillage au cœur de la ville de Los Angeles. Joe est écrivain pour Streetsblog LA, et tente de promouvoir l’utilisation des mobilités douces, et principalement du vélo dans la ville. En plus de Joe et sa famille, l’écovillage est composé d’une cinquantaine de personnes animant ce lieu plein de couleurs. Écologique, notamment via un système de retraitement des eaux grises (machines à laver, douches mais pas toilettes) et une récupération du compost particulièrement au point, ce lieu redonne un peu de « vert » à une ville comme LA. De plus, l’écovillage possède un grand potager communautaire ainsi que plusieurs parcelles individuelles. Des arbres fruitiers ont été disposés du côté rue, rendant accessibles des fruits aux passants. Des sculptures égaillent le trottoir, en plus des fresques sur la route. Cet endroit nous donne une bouffée d’air frais dans la pollution de la ville de LA. Bien que notre équipement de projection soit incomplet, nous installons le peu de matériel qui nous reste et nous présentons notre projet à une petite assemblée. L’ambiance est très bonne.

Le lendemain, nous vivons un moment exceptionnel en compagnie des écovillageois, l’élection de Donald Trump à la présidence d’une des premières puissances mondiales. Les élections américaines sont particulières pour nous Français ou Suisse. D’une part, parce que le système est différent, mais surtout à cause du décalage horaire. De ce fait, en arrivant au début de la soirée, quelques personnes nous informent que Trump est en tête avec les états de la côte Est. Nous sommes abasourdis mais totalement confiants pour la suite du vote, car les bureaux de votes des états de la Côte Ouest sont encore ouverts pour trois bonnes heures. Vous connaissez tous le résultat de ces élections, les écovillageois avaient plusieurs réactions. La tristesse, la colère, la résignation mais aucun ne semblait heureux du « choix des Américains ». Je préfère mettre des guillemets, bien que nous ne remettons pas en cause le système électoral américain, je tiens à préciser que la majorité des américains a voté pour Hillary Clinton (ce qu’on appelle le vote populaire) mais leur système de collèges électoraux fait en sorte que Trump a remporté les élections. Pour comprendre exactement comment fonctionne le système électoral américain, voici un lien fort intéressant. Bref, l’histoire des États-Unis a pris un virage sans précédent sous nos yeux de petits voyageurs à vélo.

Dans toutes ces découvertes, nous n’oublions pas de jouer les touristes modèles, nous foulons le mythique trottoir de Hollywood Boulevard. Bien que ce ne soit pas une surprise, nous nous rendons compte que notre culture cinématographique est limitée. Nous ne connaissons quasiment aucun nom. D’ailleurs, si le sujet vous intéresse voici qui est Lew Wasserman. Nous quittons cet endroit, peu d’humeur à nous immerger dans un océan de touristes, aussi rapidement que nous y sommes arrivés. Nous préférons trouver une petite microbrasserie le long de la LA River, qui possède d’ailleurs une piste cyclable quasiment sur son entièreté, ainsi qu’une longue partie revitalisée en plein cœur de la ville. C’est d’ailleurs cette piste cyclable que nous retrouvons 5 jours plus tard pour nous emmener directement à Long Beach, direction la fin de notre séjour nord américain.

Nous longeons la plage toute la soirée jusqu’à 19h. Nous décidons ensuite de nous éloigner le plus possible de la ville pour bivouaquer sur la plage. Ignorant les panneaux de couvre feu à 22h, nous commençons à nous endormir sous les étoiles, lorsqu’à 22h30, le faisceau puissant d’une lampe de poche nous réveille. La sécurité est là et nous demande aimablement de quitter la plage pour la nuit… Encore dans le gaz, nous remballons nos affaires et nous nous remettons en route pour trouver un endroit où dormir. Nous errons plus de 2h avant de trouver un plan Z, dans un fossé, derrière un buisson, où il n’y a même pas la place d’étendre nos jambes. Ce fût une nuit particulièrement mauvaise. De plus, au matin ou fin de la nuit, Guillaume se rend compte qu’il lui manque une chaussure. Il décide de faire demi tour jusqu’à notre campement temporaire de la veille sur la plage. Pendant ce temps, nous partons avec Tom. Nous arrivons à 14h à Encinitas, où nous dégustons les joies d’une baignade dans les vagues de la Californie. Guillaume nous rejoint 3 heures plus tard, sans sa chaussure, quelque peu épuisé. Une rencontre atypique vient nous changer les idées de ces dernières 24 heures fatigantes. Victor, un voyageur à vélo comme il en existe peu, qui voyage avec ses perroquets. Victor est une personne touchante au passé compliqué, qui nous emmène dans ses histoires de vies toutes plus surprenantes les une que les autres. Une superbe soirée en sa compagnie.

Notre dernier jour de vélo en Amérique du Nord s’annonce, San Diego n’est plus qu’à une soixantaine de kilomètres, nous y seront dans l’après midi. Sauf que nous décidons de nous arrêter pour profiter une nouvelle fois des vagues (fraiches) du Pacifique. Nous passons deux heures à surfer sur le ventre au milieu des vrais surfeurs et surfeuses californiens. Finalement, nous arrivons à San Diego, chez Judd et Victoria, nos hôtes Warmshowers, à la tombée de la nuit.

Nous passons la soirée à parler de voyage de vélo, de matériel, de sensations et de rencontres. Je me demande comment nous faisons pour ne pas nous lasser de parler de la même chose. Sûrement parce que tous les cyclistes ont une approche différente du voyage en vélo. Alors même si le sujet est le même, la conversation est toujours différente. Nous nous couchons relativement tôt, le lendemain nous assistons à un événement, Soil Shinding 2016, qui vise à mettre en valeur la permaculture. Nous y passons une journée très intéressante, où nous découvrons l’engouement d’une partie des Américains pour les techniques d’agriculture biologique, plus respectueuse du sol et de la biodiversité. Nous hésitons à rejoindre la frontière mexicaine pour une photo en fin de journée, mais finalement, nous rentrons, car nous sommes attendus le lendemain matin pour un atelier. Le but est d’installer un système de récupération des eaux grises (« greywater ») avec Brook Sanson et sa jeune compagnie H2ome. Cette atelier est ouvert au public et vise à donner les bases pour installer son propre système. La bande d’une dizaine d’intéressés que nous étions a réussi à installer tout un système de récupération des eaux de pluie et des eaux grises pour alimenter le jardin potager de Lesley. Nous sommes impressionnés par la simplicité du dispositif et surtout son efficacité. H2ome s’inscrit à la perfection dans le contexte sud californien, il faut savoir que la ville de San Diego souffre depuis des années de précipitations très faibles. L’eau est une ressource précieuse, pourtant beaucoup de choses pourraient être changées pour améliorer la récupération des eaux de pluies et surtout diminuer le gaspillage. Il nous semble inconcevable d’imaginer une maison sans ce genre de dispositif (même en Normandie). Une des particularités du dispositif est qu’en plus de recycler les eaux grises, les plantes y trouvent un bénéfice grâce aux nutriments contenus dans la lessive (lessive spécifique biodégradable). Pourquoi se priver de quelque chose de très simple, peu coûteux et bénéfique pour la nature. Je vous pose la question !

Nos dernières heures californiennes s’articulent autour de notre départ pour la Colombie. Nous prenons tout de même le temps de cuisiner notre fameux gratin chou-fleur et patates à nos hôtes et deux de leurs amis travaillant pour le développement de l’utilisation du vélo à San Diego. Le lendemain matin, nous passons une matinée à chercher des cartons pour emballer nos vélos. C’est d’ailleurs assez périlleux de transporter une boite à vélo avec un tendeur autour de l’épaule dans le trafic californien.

Ça y est, nous sommes en route pour l’aéroport. Cinécyclistes particulièrement organisés que nous sommes, nous arrivons plus de 3 heures à l’avance, histoire de ne pas revivre notre expérience canadienne au moment d’emballer nos vélos (à revivre ici). Nos profitons de ce moment, la Colombie nous tend les bras, nos vélos sont emballés, nous sommes prêts AVANT l’ouverture du guichet de la compagnie. Quelques minutes plus tard, au moment d’enregistrer nos bagages, l’hôtesse nous demande une preuve de sortie du territoire colombien. Nous ne sommes pas sûrs de comprendre l’anglais mâché de l’hôtesse. En effet, nous ne nous attendions pas à cette question… Elle nous répète que nous ne pouvons pas embarquer sans un billet de sortie du territoire colombien (n’importe quel moyen de transport payé). Imaginez l’idiotie de cette requête, nous voyageons avec trois vélos, qui jusqu’à présent nous ont permis de parcourir plus de 5000km, à ce niveau, on peut les considérer comme des moyen de transport, non ? Pourtant, la compagnie préfère un billet de bus à 4 dollars attestant que nous avons payé un trajet pour sortir du pays. Sur le coup, tout semble idiot mais rien ne semble compliqué. Nous allons acheter en ligne un petit billet de bus de rien du tout, et ne pas l’utiliser. Sauf que les services de réservations en ligne en Colombie ne sont pas aussi efficaces qu’en Amérique du Nord. Nous cherchons, longtemps, même très longtemps. Le temps file, et notre avance est tranquillement en train de tendre vers un sérieux retard. L’hôtesse revient nous voir, nous demandant si nous avons trouvé une solution. Elle nous conseille finalement d’acheter un billet d’avion « refundable » (remboursable). Il faut sortir la carte de crédit, les 4$US prévus se transforment en 1800 $US pour acheter un vol retour vers la Floride le 7 décembre 2016. Nous hésitons un peu, malgré toutes les garanties que l’hôtesse nous donne, nous craignons de ne pas pouvoir nous faire rembourser totalement. Finalement nous franchissons le cap, nous n’avons pas le choix. Clairement, le temps nous manque à présent. Bonne nouvelle de la soirée, du fait de notre retard, nous ne payons pas les suppléments vélos, ce qui représente une belle petite somme. Au pas de course, nous franchissons le point de contrôle et nous dépêchons d’attraper un derniers délicieux burgers américains… engloutis sans aucun remord, en courant jusqu’à notre porte d’embarquement.

Nous avons enfin un pied dans l’avion, nous trouvons notre place et ne tardons pas à nous endormir. Colombie, nous voilà !!

PS : Avez-vous compris le titre ? => réponse ici 

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