Un peu plus au Nord…

Rao (52km bitume) 2 projections

Arrivée à Rao, commune de quelques milliers d’habitants à une vingtaine de kilomètres de Saint Louis : Nous rencontrons Boubakar Kane, qui nous accueille au centre de la Fondation Sylla Caap Onlus. Boubakar est une homme très calme et souriant avec lequel naîtra une amitié.

À peine franchi le pas de la porte, nous croisons une équipe d’une dizaine de chaumiers partant pour un chantier de 300 cases écologiques… Visiblement, à la fondation, ça bosse dur ! Boubakar nous le prouve une seconde fois en nous emmenant a l’Afrika Mandela Ranch à quelques kilomètres de là où d’autres membres mélangent un imposant tas de « banco » pour la réalisation de briques en vue du futur centre d’hébergement de la fondation.

Boubakar Kane
Boubakar Kane

Étalé sur plusieurs hectares clôturés en haut d’une colline, le ranch se compose d’une dizaine de bâtiments ainsi que d’un espace maraîcher, une bergerie et de vastes pâturages de steppe semi-désertique. Le bâti comprend une école primaire, un réfectoire, un centre de formation des métiers de l’artisanat et un futur espace d’accueil et d’hébergement.

Mais la « bonne idée » de la fondation reste surtout la valorisation du typha, une plante invasive recouvrant sur des kilomètres les berges du fleuve Sénégal. Apparu il y a une décennie à peine suite à la dessalinisation du fleuve après la construction d’un imposant barrage (Dimma), cette plante de la famille du jonc a tout de suite pris le dessus sur toutes les autres formes végétales barrant de ce fait, l’accès aux fleuves pour les pêcheurs. Le typha, qui était jusque là inconnue, était désormais un mur vert de 2 mètres de haut privant les Sénégalais de leur fleuve. Éradiquer le typha ? Impossible, visiblement… Le valoriser et ainsi inciter les hommes à l’exploiter ? Ça c’est une idée ! Par exemple en l’utilisant pour couvrir les toits des cases, comme cela pouvait se faire avec nos toits de chaume.

Un couple de bretons est donc venu montrer et apprendre cette technique auprès d’apprentis sénégalais. Alors que les toits en paille doivent être remplacés tous les 4 ans et que les toits en tôle deviennent de vrais fournaises en été, les toits de typha durent jusqu’à 40 ans et offrent des avantages thermiques non négligeables.

Toit en Typha, Rao.
Toit en Typha, Rao.

Outre le plaisir d’échanger avec Boubakar et sa famille avec qui nous deviendrons également amis, un autre élément vient enrichir notre soirée OFF (comprendre « sans projection ») : la petite bibliothèque de la fondation. Comme cela faisait longtemps : des livres, et des bons ! Je me plonge dans Martin Luther King, l’Homme de cro magnon et l’Histoire du Sénégal pendant que Yoro dévore le monde de Sophie et le petit manuel de philosophie pour les non philosophes. À croire que ça nous manquait !

Cinecyclo tiendra deux projections durant notre séjour à Rao. La première dans le petit village de Mbondji (200 habitants), la seconde à Kalassal, un village plus imposant pratiquant la monoculture de l’oignon non bio. Les agriculteurs croulent sous les dettes qu’ils peinent à rembourser tant les charges sont nombreuses. Par exemple, les pompes facilitant l’arrosage des parcelles doivent être remplacées quasiment chaque année (Made in China) ! Des pompes solaires ? Des solutions mécaniques ou animales ? Du compost naturel comme engrais ? Nous passerons 3 bonnes heures à échanger ensemble sur les solutions qui peuvent être imaginées pour améliorer les rendements et la qualité de vie.

Ce sont ces moments d’échanges qui nous aident à piocher dans notre collection de films, ceux qui feront mouche. Pari gagné avec « Composting against Striga » et « Let’s talk money » deux courtes vidéos en dialecte local parlant d’engrais bio et de gestion appliquée aux exploitations agricoles du Sahel (partenaire Access Agriculture).

Saint-Louis (24km bitume)
Nous la tenions en ligne de mire depuis un bon mille, voici Saint-Louis ! Ancienne capitale du Sénégal, important comptoir de l’époque coloniale, capitale Ouest Africaine du Jazz, mais surtout la ville la plus éloignée de Kédougou au Sénégal. Faire Kédougou – Saint Louis pour un cycliste sénégalais, c’est un peu comme relier Nice à Brest pour un français : une belle diagonale ! Autant dire que « Saint-Lou » est pour nous tout un symbole et pour Yoro l’aboutissement d’un défi sportif hors-norme.

On prend deux jours pour visiter la ville, l’île et ses bâtiments historiques et le quartier des pêcheurs. Nous flânons, ici et là, en compagnie de Birame, un jeune étudiant en Économie et Gestion de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis qui sera notre hôte. Nous échangeons avec lui sur l’avenir du Sénégal, l’agriculture, l’aide au développement, le passé colonial, l’érosion côtière…

C’est dimanche, les rues sont désertes sur l’île aux rues quadrillées de la Cité classée patrimoine mondiale de l’Unesco. 2 km de long sur 300 mètres de large… Tiens tiens, cela m’inspire un chouette Critérium autour de l’île ! Surtout que la petite reine a pas mal la côte ici me dit-on… Critérium kezako ?

« Le critérium est un type de course cycliste d’un jour et sur route, se déroulant souvent en centre ville, sur un circuit de 800 m à 10 km, pour une distance maximale de 150 km, selon le règlement de l’Union Cycliste Internationale. Les critériums sont relativement faciles à organiser et ne nécessitent pas une grande quantité d’espace. Les petites bourgades peuvent ainsi mettre en place ce type de course qui s’intercale souvent entre de grandes compétitions officielles et susciter un engouement populaire considérable. Les spectateurs sont en effet ravis de voir les amateurs régionaux confrontés aux « géants de la route » qui passent plusieurs fois devant eux sur la boucle du circuit. Le public s’intéresse peu à l’ordre de passage et aux écarts chronométriques, d’autant plus que dans les circuits très réduits, des coureurs commencent à en doubler d’autres, pendant que certains sont « lâchés », rendant la course rapidement incompréhensible. « Les demandeurs de critériums viennent donc surtout vérifier la matérialité des êtres extraordinaires que le récit sur la course en ligne leur a vantés, ils viennent les approcher, obtenir si possible des autographes, le tout dans une ambiance de fête et avec très peu d’exigence de la logique sportive ». » (Wikipédia et Jacques Calvet, Mythe des géants de la route, Presses universitaires de Grenoble,‎ 1981, p. 53)

Saint-Louis / Yoro et Birame dans les rues de lile Saint Louis
Saint-Louis / Yoro et Birame dans les rues de l Ile de Saint-Louis

Sur l’île, les bâtiments s’enchaînent, à étages, colonnades et balcons, façades colorées typiques de l’architecture coloniale. Un peu partout, ça s’effrite, ça menace, ça tient tout juste… Patrimoine en danger ? Il suffit cependant de passer les ponts pour retrouver le Sénégal habituel, c’est à dire bruyants avec des charrettes, des scooters dans tous les sens, des marchés et du monde partout ! Quel contraste !
Nous louperons le fameux festival de Jazz de deux petites semaines. A l’approche de l’ouverture, nous dit Birame, tous les hôtels, les campements et les canapés d’amis se réservent dans la ville. Car, quand on aime le Jazz, Saint-Louis c’est THE PLACE TO BE début mai, chaque année (sauf si votre truc c’est la polka, évidemment).
Nous donnons rendez-vous dans un café de la ville à Isabelle et Carmelo plus connu sous le nom Cinecicleta. Parti en vélo depuis Madrid fin 2015, ce couple d’espagnols traverse l’Afrique avec un dispositif de diffusion cinéma similaire au nôtre. Voilà quelque temps que nous nous suivions mutuellement sur les réseaux sociaux. La rencontre fut historique, au moins aussi importante que celle de Stanley et Livingstone en 1871 sur les bords du Zambèze. Nous avions l’impression de rencontrer les membres d’une même tribu un peu folle d’extraterrestres à deux roues ! Ce moment d’admiration mutuelle me rappela une dédicace de Claude Marthaler (7 ans sur son vélo) dans l’un de ses livres alors que la taille de mes mollets ne tarissait pas d’éloge : « Pour Vincent, en espérant que tu rejoignes bientôt la sphère des cyclonautes ». Je crois que ça y est Monsieur Claude !

Cinécyclo et Cinecicleta
Cinécyclo et Cinecicleta

Alors que les espagnols enchaînent vers le Sud sur le Siné-Saloum et la Casamance, nous partons vers le parc du Djioudj à la frontière mauritanienne au Nord. Telles deux comètes qui s’entrechoquent le temps d’un jus de bissap, nous nous en allons chacun vers nos inaccessibles étoiles en se souhaitant bon chemin.

Diadiam 3 (40km bitume + 19km piste)

Un cycliste (casque, vélo carbone et tout et tout) nous dépasse : « C’est vous cinécyclo ? » Sourires, Selfi, Carte de visite et ça repart… Yoro et ses verres fumés « Miami », résistera t-il au star système ? Ces rencontres inattendues nous amusent et nous motivent à la fois. Merci !!!

Vincent, Cyril et Yoro : "C'est vous Cinécyclo ?" Photo@Cyril
Vincent, Cyril et Yoro : « C’est vous Cinécyclo ? » Photo@Cyril

Les derniers 19km de piste s’avèrent ultra physiques et pompent un maximum de notre énergie. Yoro arrive lessivé, n’ayant même plus la force de communiquer avec notre contact sur place : Djiby Seye, Président de l’association inter villageoise du Parc des Oiseaux du Djioudj.

Malgré la fatigue, j’essaye de me plonger avec intérêt et curiosité dans les actions de cette association qui a pour but de soutenir les 7 villages périphériques du parc. Et dire que nous projetons le soir même ! Nous aurions bien pris un jour de pause, mais trop tard, notre partenaire à déjà pris les choses en main et tout est calé ! Une organisation à laquelle nous ne sommes pas habitués et les sénégalais non plus. Tant de rigueur viendra compliquer cette tournée car, il ne faut pas oublier une chose, nous nous déplaçons à vélo avec tous les imprévus que cela comporte ! Et comme pour venir contrecarrer les plans de notre tuteur zélé, tout un cortège d’imprévus viendra se mettre en travers de notre route : crevaison, usure du matériel, village endeuillé etc.

Au lendemain matin de la projection, et pendant que Yoro récupère de la journée passée, je profite du temps libre pour rencontrer le Conservateur à qui j’expose notre démarche. J’ai grand plaisir à échanger avec Commandant Gaye, nouvellement en charge du Parc. Dans sa case, une télé diffuse en boucle des classiques de Jazz dont il me confie être devenu « accro », comme beaucoup de Saint-Louisiens dès le plus jeune âge. « Quand j’étais au primaire, les 3 premiers de chaque classe avaient le droit d’assister au festival ».

Je visite également la station biologique, complexe architectural moderne respectueux de l’environnement censé accueillir les chercheurs du monde entier. Le centre a connu une période florissante, mais cherche aujourd’hui à accueillir de nouveaux partenaires, universités, centres de recherches… Chambres, salle de conférence, bibliothèque, personnel disponible et accueillant, l’espace est impressionnant et demanderait à être d’avantage connu.

Rhon (6km piste)

Après la première projection de Diadiam 3, nous nous rendons à Rhon, l’un des 7 villages créé à la suite de la naissance du Parc National des Oiseaux du Djioudj. Tous ces villages (à l’exception de Fourarad et Diadiam 1) se trouvent le long de la digue, sur le fleuve Sénégal.

Nos discussions et la tournée qui s’enchaîne, nous aident à y voir plus clair sur ce qui est l’une des dernières zones d’intervention de Cinécyclo au Sénégal.
Après avoir délimité la zone du Parc dans les années 70, l’État déplaça des milliers de personnes vivant à l’intérieur de l’enceinte verte vers ce que tout le monde appelle ici « la périphérie ». Ces villageois durent ainsi apprendre à vivre sur de nouvelles terres.

« Déplacement de population », ces termes me font froid dans le dos. Je ne pensais pas les entendre un jour associé à autre chose qu’à un conflit armé. Et surtout pas pour des besoins de protection de l’environnement. Dans le cas du Djioudj, c’est pourtant un « impératif » écologique qui imposa à ces personnes de quitter leur terre et leurs morts pour permettre à des animaux de vivre en paix.

Aujourd’hui, le Parc National des Oiseaux du Djioudj compte 365 espèces différentes d’oiseaux et des milliers de touristes le visitent chaque année. Lorsque vous embarquerez sur la pirogue pour contempler le nichoir des pélicans, dites-vous qu’à quelques kilomètres à peine de là vivent plus de 3000 personnes sans électricité, sans case de santé, sans arbre, sur une terre pauvre, salée et inondable, avec un fleuve rendu inaccessible et où la pêche est devenue impossible. 3000 personnes ayant pour interdiction de chasser les oiseaux ou les phacochères environnants venant pourtant ravager les récoltes de l’unique aliment qu’ils savent faire pousser ici : le riz. L’isolement y est extrême, et bien au-delà de ce que nous avions pu voir jusqu’à présent. Ces villageois semblent totalement livrés à eux-mêmes. La pratique de conservation « sous cloche » de certains milieux naturels nous montre ici ses limites et ses faces cachés.

Djioudj / dans le village enclavé de Débi Tiguet
Djioudj / dans le village ultra enclavé de Débi Tiguet : terre salée, pas d’arbre, un fleuve inaccessible, des cables mais pas d’électricité… La liste est longue !

Le constat continue, au fil des kilomètres. À l’horizon, c’est une succession de poteaux électriques qui s’enchaînent et dont les câbles attendent toujours leur premier Volt de tension. Pour cuisinier ? Pas de bois, pas de gaz, pas d’électricité, pas de maraîchage… La seule et unique activité semble être la culture du riz, massive dans la région suite à la mise en place du programme d’autosuffisance en riz du gouvernement. Un projet permettant aux agriculteurs de se lancer rapidement dans la production et à moindre frais (sur un système de crédit remboursable en riz). La production sur plusieurs hectares semble rentable si la récolte est bonne, malgré les frais conséquents inhérents aux pratiques modernes (tracteurs, engrais chimique, pesticides, récolte, sac de riz…), ce qui n’est pas le cas pour des petits producteurs (1 ou 2 hectares) qui s’en sortent à peine.

Le soir de la projection, les enfants sénégalais et les enfants maures se chamaillent lors de l’installation de l’écran. Des tensions raciales planent dans les aires auxquelles je mets vite court en appelant cette soirée « la projection de la tolérance ». Je confie une tâche à chacun d’entre eux, leur permettant de s’impliquer, ensemble, dans la préparation de cette belle rencontre. Finalement, la projection se déroule tranquillement avec la participation enjouée de plus de 150 personnes.

Le lendemain, nous attend la traversée du parc sur 19km pour atteindre le village ultra isolé de Diadiam 1. Espérons que tout se passe comme sur des roulettes et que des initiatives locales nous redonnent du baume au cœur.

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Vincent Vélo Écris par

Fondateur de la structure Cinécyclo, Vincent est avant tout un aventurier dans l'âme. Après avoir vécu au Québec, en France et en Italie, il se lance dans le Cinécyclo Tour du Sénégal en 2015 au guidon de son vélo cargo cinéma.

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