Quand le désert toque à la porte

Tournée AVED

Durant 48 heures nous préparons avec Khalifa et Kello, les responsables locaux de l’AVED, une tournée autour de Coulibantan. Choix des villages, thématiques à aborder, contact sur place et logistique. Nous retiendrons quatre villages et outre le film de présentation de l’AVED sur les droits élémentaires tels que le droit à l’éducation, la santé, à la suffisance alimentaire, etc, nous diffuserons un documentaire sur le reboisement, les pesticides et engrais organiques, le rôle et l’intérêt dans l’écosystème de l’apiculture ainsi que l’utilisation avantageuse des foyers améliorés. Un programme chargé certes mais qui s’adresse à un public déjà sensibilisé via l’AVED à l’agroécologie.

Ici l’agroécologie n’est pas une philosophie mais une nécessité. Il faut arriver à résoudre l’équation, obtenir l’autosuffisance alimentaire dans un environnement aride et une terre pauvre et qui plus est dans un système économique exsangue. L’agriculture pluviale ne permet d’y répondre qu’en partie pour les céréales et les arachides mais pas pour les légumes indispensable à l’équilibre alimentaire.

Aussi le soucis majeur demeure le développement du maraîchage. Mais encore faut il avoir accès à l’eau en suffisance ou pouvoir protéger ses cultures du bétail ou obtenir un rendement minimal, et le tout sans coût ajouté.

Bien souvent les ONG et associations amorcent le processus via un puis, une clôture, la fourniture de semences, une formation. Ce petit coup de pouce philanthropique (ou pas) rend un peu de dignité à une population qui n’a pas vocation à tendre la main.
Avez vous déjà jardiné dans un quasi désert ? Avez vous déjà arrosé votre potager en puisant à la main de l’eau à plus de 30 mètres ? Oui, c’est un pari de prime abord impossible mais dont dépend la survie de village entier.

Bien souvent le désespoir les rattrape et sans vouloir sombrer dans le misérabilisme toute action de soutien et d’encouragement reste bonne à prodiguer.

Makanding (10 km en cariolle et 3 projections)

Le Cinécyclo cargo connait déjà l’avion, le train, le bateau, la pirogue, le transport à dos d’homme et nous lui réservons une petite surprise, une balade en calèche. Un moyen de déplacement plus adapté sur les pistes trop ensablées pour circuler le cul rivé sur la selle. Le voilà bridé sur le plateau de la carriole et la jument file bon trot jusqu’à Makanding.

Une heure plus tard nous sommes au rendez-vous. Personne ne s’est apperçu que le pauvre Vincent assis au centre de la plate-forme sans possibilité d’avoir les jambes balantes a encaissé toutes les trépidations sans pouvoir les amortir. Il a le dos en compote.

C’est Elhadji qui nous accueille. Il est aussi le Marabout qui enseigne à l’école coranique. Tous les aspects logistiques étant réglés par avance, hébergement chez la présidente du groupement de femmes Seet Setal, il ne nous reste plus qu’à nous consacrer aux relations avec la population et aux préparatifs de la séance.

Nous partons visiter les aménagements du nouveau potager et le forage. Une myriade de femmes circule à la queue leu-leu une bassine d’eau de 20 litres sur la tête. Le balai des boubous durera de 17 à 19 heures et reprendra à nouveau le matin durant deux heures. Une chorégraphie haute en couleur qui ne saurait faire oublier la pénibilité de la corvée. Mais jour après jour les oignons, aubergines, carottes, choux poussent lentement dans cette terre austère et récompensera les forçats enjoués. Enjoués car à travers leurs discutions, rires et chants durant les travaux grandit également la nécessité d’une cohésion solidaire.

La projection se déroule sur la place centrale du village, durant deux bonnes heures, animée d’un débat des plus participatifs.
Après un long enchainement de remerciements suivant un protocole bien établi dans ce genre de villages, les femmes entament spontanément des danses et chants rythmés par tout ce qu’elles peuvent récupérer sur place bidon, branche, pilon, mortier, vaisselle métallique.

Quelle récompense, touchés par tant de sollicitude, recevez mesdames le témoignage de notre émotion à fleur de peau.
Toute cette spontanéité et générosité nous poussera à organiser deux autres séances le lendemain dans la pénombre et la fournaise d’une salle de classe. L’une pour les enfants avec un dessin animé, l’autre à l’attention particulière des femmes du groupement sur divers sujets relatifs au maraîchage.

Nous repartirons en procession accompagnés jusqu’à la sortie du village par de nouveaux chants et danses.

Yoro Dondé (4 km à pied et 1 projection)

C’est en fin d’après-midi que nous arrivons à Yoro Dondé après qu’Elhadji ait tenu personnellement à nous accompagner en enfourchant le vélo cargo. Pas évident, comme première expérience, de pédaler cet engin dans un chemin si sablonneux alors que nous, cinécyclistes, avions déjà déclaré forfait.

Passage de témoin avec Kaly qui nous accueille. De ce jeune homme de 36 ans émane une volonté inébranlable. Nous le surnommons l’homme pressé. Tout est organisé, visite du forage qui puise dans une nappe phréatique à plus de 140 m, puis des jardins des groupements, puis retour au centre du village ou se tiendra la séance pour un repérage. L’écran sera fixé sur la façade de la mosquée en construction.

Une fois de plus la conjonction de l’impact de l’image, de la génération de l’énergie par la force humaine et les thèmes ciblés abordés, captent le public et marquent les esprits. Y a-t-il meilleur vecteur pour partager les idées et savoir faire ? Pour notre part, notre contribution sera complétée le lendemain matin par une formation sur les foyers améliorés et gageons que l’AVED puisse continuer à apporter son soutien et son expertise sur le développement des techniques de maraîchage agroécologique.

Sandougou (8 km à pied et 1 projection)

Troisième étape de notre tournée, le déroulement de la soirée s’opère dans la même veine que les rencontres précédentes. Aussi nous ne nous attacherons ici qu’à relater deux anecdotes. L’élaboration de l’encre, qui sert à inscrire les Sourates sur les tablettes en bois des talibés et les playmobils des enfants. L’encre n’est autre qu’un astucieux et simplissime mélange de suif récupérée sur l’extérieur des marmites et d’eau.

Pour les playmobils, comme il n’y a pas de JouetLand à moins de 5000 kilomètres, eh bien on les fabrique en terre argileuse. Et voilà la marmaille assise dans le sable en train d’animer des figurines finement modelées représentant zébus, chèvres et chevaux, en somme toute la vie en brousse racontée par des broussards.

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Missira (5 km à pied et 1 séance)

La « renommée » de Cinécyclo nous précède et aujourd’hui ce sont danses et chants qui nous accueillent à notre arrivée à Missira. Voilà de quoi renforcer notre conviction de l’intérêt des actions menées, sachant que ce témoignage de bienvenue ne résulte que du bouche à oreille entre villages. Alors, après une partie de football, une bonne douche, un bon repas : « envoyer ! » comme dit Yoro. Et ce soir « ça envoie du lourd » avec une participation exceptionnelle du village.

Colibantan (5 km à pied et 1 séance)

Le petit déjeuner enfilé, nous retournons sur Colibantan par une petite piste pour à peine 5 kilomètres. Une pintade vivante vient compléter nos bagages !

Pendant que Vincent et Yoro débriefent de la tournée avec Khalifa et Kello, Alain fait un peu de soutien scolaire pour des élèves de CM2. Les portes du centre de formation étant grandes ouvertes à tous les enfants du village.

Énoncé du problème :

Sur une carte au 1/6000 un terrain mesure 32 mm de long sur 25 mm de large. Sachant que l’on veut le clôturer à raison d’un piquet tout les 4 mètres, combien faut-il acheter de piquets ?

On attend vos réponses !

Le reste de la journée est consacré à l’intendance comprenez, lessive, mécanique, écriture et aussi un peu de détente, que diable ! (badminton et pétanque).

Aujourd’hui, Khalifa souhaite nous faire découvrir ses ruches (ruches vautier en béton pour résister aux termites) disposées au milieu d’un bosquet d’eucalyptus issu d’une campagne de replantation. Mais il est encore trop tôt pour savourer la première récolte de miel.

Puis, il nous conduit vers le lit asséché de la rivière la plus proche, un affluent du fleuve Gambie. Il tient à nous faire palper les effets réels du réchauffement climatique qui, trop souvent, trouve écho dans nos esprits comme une profession de foi pour le moins abstraite . Il y a deux décennies, ce cours d’eau était navigable toute l’année. Mais rapidement, son débit s’est réduit provoquant la disparition des grands arbres bordant et stabilisant les rives.

Essayer d’endiguer le phénomène ou ne serait-ce que tenter de le stabiliser n’est plus, ni humainement, ni financièrement, à la portée des populations ou autorités locales.

En aparté, la rencontre avec une adolescente nous pousse à nous interroger sur notre regard occidental de la société africaine. Cette jeune fille de 14 ans est promise depuis ses 10 ans à un migrant travaillant en Italie. Elle ne le connait pas et n’entretient aucune correspondance. Elle est hébergée chez sa tante, car son père travaille et vie en Gambie et sa mère a été répudiée. Alors pour couvrir ses frais de scolarité (mais aussi de bouche, ne soyons pas crédule) la famille l’a promise à un bon parti. Revenir sur la décision, impossible, il faudrait alors rembourser toutes les sommes perçues, s’enfuir, pour aller où ?

Elle est en quatrième mais bientôt, le bon parti rentrera au pays prendre possession de sa promise. Alors quand nous lui demandons « Qu’est-ce que tu aimerais faire plus tard comme travail ? », elle se contente de sourire et de nous répondre « Pour moi, pas de travail ».

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Vincent Vélo Écris par

Fondateur de la structure Cinécyclo, Vincent est avant tout un aventurier dans l'âme. Après avoir vécu au Québec, en France et en Italie, il se lance dans le Cinécyclo Tour du Sénégal en 2015 au guidon de son vélo cargo cinéma.

Un commentaire

  1. NOROY EVELYNE
    17 mars 2016

    Toujours beaucoup de joie et d’émotion à lire vos textes….. et c’est enrichissant !
    Merci pour ce partage, qui est aussi pour vous sans doute, un travail, après les kilomètres accumulés. Bonne continuation à toute l’équipe !
    Bises de Bourgogne

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