Soukouta (1 km piste / 1 projection)
Soukouta est la première étape de la tournée Nébéday. Tout est déjà organisé sauf l’imprévu, et l’imprévu du jour est le décès d’une personnalité du village. Alors là séance est repoussée d’une journée. Ce contre temps nous laisse le loisir de profiter pour une journée de plus, du pied à terre de Jean, un petit paradis noyé dans la mangrove et les baobabs au bord d’un bolon. Préparation du bouillie (boisson à base de pain singe et de sucre), visite de la radio Niombato et la journée se déroule nonchalamment, jusqu’au coup de feu du soir où l’équipe Cinécyclo s’active en coulisse et sur scène afin d’offrir une belle séance.
Il est 21 heure, chacun allume sa frontale, le vélo cargo est à gauche de l’emplacement prévu pour l’écran. Déjà il faut repousser les enfants venus s’agglutiner vers un périmétre tracé à la hâte par l’un d’entre nous. Vincent et Yoro installent l’écran et le hibou, Alain s’occupe de brider la dynamo sur le vélo. Ça y est le vélo est stable sur sa béquille, l’écran tendu à bonne hauteur, le hibou surmonté du picoprojecteur, trône face à l’écran, le câble relie la dynamo au hibou. Alain donne les premiers coups de pédales, la friction est correcte, l’afficheur s’éclaire et indique 6 volts, Il faut monter à 13 volts, ok ! Vincent allume le hibou puis le picoprojecteur et enfin l’image apparait. Encore quelques réglages, cadrage, choix de l’entrée HDMI, navigation dans le menu jusqu’à la sélection de la musique d’ambiance pour ameuter les retardataires. Les percussions résonnent à pleine puissance sur un rythme afro, Yoro chauffe l’auditoire, danse, frappe dans ses mains et entonne des bancs, le public suit et frappe à son tour dans les mains, il reprend les bancs, un ballet de lampes torches converge vers l’écran, la foule forme maintenant un demi cercle compacte, le show débute.
Sangako (4 km bitume / 1 projection)
C’est Daouda (Président du comité villageois) et son épouse Maguette qui nous accueillent à Sangako.
Nous logerons chez Fatou juste en face. Pour les repas ce sera double rations puisque nos deux hôtes tiennent absolument à nous avoir à leur table.
Après une grande promenade digestive dans la mangrove à marée basse, nous voilà fin prêts pour la projection du soir.
Tous nos partenaires sont présents : Kekoye qui est le Président du comité inter villageois, le Président du centre de gestion de l’Aire Marine Communautaire Protégée (AMCP), le Directeur du centre d’interprétation de Toubacouta, le Commandant Gomis, en charge de l’AMCP.
Fatou assure la traduction en Mandingue, le cinéma débat est parti pour deux bonnes heures. Tout d’abord présentation de l’équipe Cinécyclo avec en préambule un « salam alekoum » auquel le public répond en coeur « malekoum salam ». Puis une brève présentation de l’équipe et des objectifs du Cinecyclo, description du système de génératrice à pédales pour décider les plus vaillants à venir prêter main forte sur le vélo.
Medina Sangako (500 m sable / 1 projection)
500 mètres seulement séparent les deux villages. Une projection commune aurait pu être une bonne idée mais c’est impossible car si Sankago est Mandingue, Medina est Serère. Et ici, on ne se mélange pas ! Il faut aussi tenir compte du paramètre ethnique.
Peu importe, pour nous le luxe aura été l’opportunité de dormir deux jours de suite dans le même lit. Le quotidien du nomade dans son perpétuel déplacement peut être usant pour les sédentaires dans l’âme que nous sommes.
La projection s’avère délicate, car ce soir débute en parallèle un combat de lutte. Et chez les Serères, on a la lutte qui coule dans les veines. Ce n’est pas pour rien que tous les plus grands champions émergent de cette ethnie.
Bref, une concurrence quasi déloyale qui nous fait craindre la Bérézina. Comme redoutée le début de séance rassemble 4 personnes en tout et pour tout, nous songeons même à annuler la projection. Mais petit à petit le public s’étoffe. Le programme ira donc à son terme avec quelque 60 participants au final.
Tout ce petit monde se précipitera tels des aficionados, nous y compris, dès la fin de projection, à la lutte bien entendu. Et là, nous mesurons l’engouement pour ces combats traditionnels. Les rituels des lutteurs à l’échauffement, la musique et les chants envoûtants des grillots, il y a un côté mystique dominant où au delà du simple événement sportif, lutteurs et public communient dans une transe commune.
Sandicoly (5 km bitume / 1 projection)
Comment repère-t-on la carrée (ensemble de cases d’une même famille) du chef de village. C’est simple, trouvez le mât qui pavoise aux couleurs du Sénégal. Le chef de village peut être élu ou de droit par filiation, dans tous les cas, il représente avant tout l’autorité gouvernementale, mais aussi une sorte d’autorité spirituelle et tribale.
À Sandicoly c’est une fois de plus lui qui, après les présentations et en vertu de ses prérogatives d’accueil de l’étranger (au sens large du terme c’est à dire qui n’est pas du village), nous offre gite et couverts.
Une balade dans les environs nous fait découvrir une nouvelle source de déforestation, la fabrication de la chaux. Le procédé consiste à faire brûler des coquillages dans d’immenses brasiers. Une fois consumés, on sépare la cendre de la poudre résiduelle issue de la combustion du coquillage et on obtient une chaux vive prête à l’emploi.
Les propriétés de cette chaux mélangée au banco (sable argileux) renforce la solidité des briques crues (séchées au soleil) utilisées dans la quasi totalité des constructions.
Autre découverte, le campement éco touristique et solidaire de Claudine (www.campement-niombato.com) qui nous permet de visiter et d’apprécier pour la première fois un bâtiment construit selon la technique de la Voûte Nubienne.
Revenons au cœur du sujet, la séance du soir. Exceptionnelle, par la participation, environ 300 personnes, mais aussi pour l’ambiance. Sans en expliquer les raisons, une alchimie particulière a fait de cette soirée l’une des plus réussie. Et que dire de l’apothéose récréative, une foule hilare de bout en bout à suivre les facéties d’un vagabond au chapeau melon dans l’univers d’un cirque. On se rapelera notamment d’un spectateur qui, en s’écroulant litteralement de rire, a entrainé un groupe d’une dizaine de personnes dans sa chute !
Diaglé (7 km bitume / 1 projection)
Cette étape ne fait pas partie de la tournée Nébéday. Nous sommes ici sur les sollicitations d’un seul homme, Cheikh Sy. Depuis deux jours et ayant eu vent de nos projections, il ne cessera de nous inciter à venir dans son village de Diaglé. Il faut reconnaitre le charisme de cet homme, son opiniâtreté, et surtout son implication dans tout ce qui touche à l’environnement et au développement.
Fin agriculteur, mais aussi érudit des techniques phytosanitaires, il exploite en famille un maraîchage avec brio et pourtant, point de Baccalauréat en poche ! Il suffit parfois d’être curieux et travailleur.
Alors à votre demande M. Cheikh, au programme ce soir :
pépinière et replantation, apiculture moderne et son impact dans l’écosystème, pesticides et engrais organiques et enfin foyers améliorés !
À croire que Cheikh vit en permanence dans son jardin, il y est en famille du matin au soir, à arroser, désherber, planter, récolter, observer, contrôler, expérimenter. Ses 4 enfants, à qui il ne parle qu’en français, l’observent et apprennent à ses côtés.
Nous l’y rejoignons pour le déjeuner sur une natte à l’ombre d’un immense manguier. L’occasion de faire plus ample connaissance, notamment avec les benjamines aux tresses colorées. L’art de la tresse en Afrique mériterait à lui seul une thèse.
Une anecdote nous interpelle. Lors de son mariage en 2002, la coutume voulait que la dote se compose de 40 000 CFA, une radio et un sac de riz. Pensant bien faire, il substitue à la radio un téléviseur NB. Aujourd’hui encore, nombre d’habitants lui reproche cette surenchère et surtout d’avoir osé modifier la tradition !!
Bon courage Cheikh à convaincre tes paires à se tourner vers de nouvelles techniques maraîchères, adaptées au changement climatique et à la pression démographique que connait le Sénégal d’aujourd’hui. Le premier défi demeure, en somme, de surmonter le poids des habitudes et de la tradition.
Sadio Sala (4 km sable / 1 projection)
Nous reprenons la tournée Nébéday autour de la forêt classée de Sangako. L’accès à Sadio Sala par une piste trop sableuse, nous confirme l’hypothèse d’abandonner nos vélos et de continuer à pied, sac à dos, en poussant tant bien que mal le vélo cargo version light. Le pickup Nébéday rapatriera donc deux vélos et le reste des bagages au siège à Toubacouta.
Les anacardiers sont à maturité et nous faisons, en longeant les vergers, une cure de pommes de cajou. Les noix seront, quant à elles, tout simplement torréfiées et dégustées plus tard. Vivement la saison des mangues bien plus goûteuses d’autant que Yoro et Vincent n’apprécient guère l’odeur particulière de ce fruit.
Nous sommes pris en charge par Djiby et sa famille, et encore une fois ce sera double rations, celle de notre hôte et celle du chef de village, bon appétit. Mais aussi deux fois plus de thé et là, gare à l’insomnie. D’un autre côté, nous œuvrons de nuit, ça ne peut donc pas nuire.
Et ce soir, n’ayant pas trouvé de support convenable pour tendre l’écran, nous érigeons deux mâts au centre de la place principale aux allures d’amphithéâtre.
La séance se déroule comme à l’accoutumée avec une large participation et l’incontournable et précieuse intervention quotidienne de Kekoye, l’animateur de notre partenaire Nébéday.
Babou Diouf (1 km sable / 1 projection)
En ce mardi, c’est Babou Diouf, avec pour tuteur Lasane.
La proximité entre Sadiou Sala et Babou Diouf nous permet de conserver notre bivouac chez Djiby (un déménagement en moins à faire).
Bref repérage pour l’installation de ce soir, et, au détour d’un sentier, nous voilà propulsés au Centre de formation agricole soutenu par l’ONG Caritas depuis le début des années soixante.
Cette visite nous laisse l’âpre sentiment qu’ONG et associations, à l’inverse de jouer la carte de la coordination et de la coopération au profit d’un développement local collectif, se lancent dans une sorte de compétition et de course aux résultats (plus ou moins objectifs) pour séduire les bailleurs créanciers et futurs.
Notre séance débute. Nous complétons notre programme avec la diffusion du court métrage « Binta et la bonne idée ». Un film poétique et percutant admirablement bien réalisé qui traite de la scolarisation des jeunes filles. En filigrane, ce film parle de l’écart entre le mode de vie occidental et africain, en opposant l’insatisfaction d’un monde où l’on est dans le « trop posséder » et un monde où avoir déjà l’essentiel, se nourrir, se soigner par exemple, est ressenti comme une grande joie.
Batamar (2 km sable / 1 projection)
Notre mission à Batamar : remobiliser un comité villageois à la limite de la dissidence.
Si bien que notre tuteur du soir ne sera pas le Président de ce comité villageois, mais Anthia la Présidente du groupement de femmes. La tâche ne s’annonce pas facile. Alors opération reconquête diplomatique. On observe, on s’interroge, on s’intéresse, on se rapproche, on discute, on aborde le vif du sujet, on entrevoit des solutions.
Et puis n’oublions pas le reste de la population. C’est la sortie de l’école coranique, les enfants se précipitent vers nous et nous interpellent comme toujours par :
« – Toubab comment tu t’appelles ?
– Vincent.
– Ah, Voncin ?
– Non non, Vincent Hanrion et Alain Chaine.
– Ah, Vinchon Hanion et Alassane. »
Naturellement Yoro ne leur pose aucun problème de prononciation. Certains ramènent de la madrassa un bout d’ardoise et de la craie, l’occasion d’écrire « blanc sur noir » : A, L, A, I, N, en capitale d’imprimerie. Et là surprise en tentant de réécrire le prénom, l’enfant débute de la droite vers la gauche N, I, A, L, A. Difficile d’assimiler en parallèle les principes de l’écriture latine et arabe.
Allez au boulot, installation ! Juste avant le début de séance, la staff Nébéday arrive en force, l’emblématique Kekoye et son pickup grenat dévoilent l’atout charme de l’association en la personne de Fatou Diop. Gageons que cette soirée et les interventions multiples auront réussi à ressouder les rangs.
Keur Aliou Gueye (3 km sable / 1 projection)
Keur Aliou Gueye ou maison d’Aliou Gueye le fondateur du village. Nous dormons chez Bouba, petit-fils d’Aliou Gueye.
Dimanche prochain se tient le référendum sur la modification de la constitution pour la réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans.
Depuis quelques jours nous observons la propagande des partisans et opposants qui en font un vote de confiance ou de sanction au gouvernement en place qui a élaboré la proposition.
Lors du vote, l’électeur disposera d’un bulletin OUI ou NON. Chaque camp entretient une certaine confusion sur la signification réelle de ce OUI ou NON. Si bien que pour certains le OUI signifie OUI au quinquennat (ce qui est juste) et pour d’autres OUI au septennat et inversement avec le NON.
En outre, personne n’est capable de préciser une seule des quinze modifications constitutionnelles supplémentaires associées subtilement à ce vote. Sachant que plusieurs d’entre elles renforcent l’exécutif au détriment du législatif et la gouvernance par la diaspora.
Le citoyen analphabète ou mal informé (soit au bas mot 60 % de la population) devient ainsi facilement influençable pour ne pas dire manipulable.
Même dans le camp des partisans du OUI au quinquennat certains n’ont pas compris que ce referendum ne concerne que le prochain mandat présidentiel, dans tous les cas le septennat en cours ira bien à son terme, bien qu’il ne soit que dans sa quatrième année d’exercice.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué.
Allez un bon couscous (thiéré) pour digérer tout ça. Eh bien non, pour Alain, c’est la grosse, grosse indigestion. Quelque chose de vraiment pas catholique, si bien que la pauvre petite poule innocente venue picorer la semoule vomie dans la nuit sera retrouvée morte au petit matin (et c’est pas une blague).
Sinon, la soirée Cinécyclo, loin de tous ces tracas politico/sanitaire, s’est déroulée sous les meilleurs auspices.
Soyez le premier à commenter