Californie, à la recherche de l’eau perdue

Par Tom Müller

Arcata Marsh et Allen family

Nous voici donc à l’Arcata Marsh and Wildlife Sanctuary ! Nous sommes accueillis par Katy Allen et George, 2 volontaires retraités qui investissent une grande partie de leur temps à la conservation du site et à le faire découvrir aux curieux tels que nous, mais surtout par passion pour cet endroit d’exception, pour sa tranquillité sauvage, où plus de 327 espèces d’oiseaux se reposent chaque année sur leur route migratoire. Mais l’Arcata Marsh n’est pas seulement une grande zone humide, c’est en premier lieu, une partie intégrante de la station d’épuration des eaux de la ville ! Comme vous pouvez l’imaginez, nous sommes tout de suite conquis par ce projet novateur et révolutionnaire imaginant les eaux usées, non pas comme un déchet ennuyeux et fétide, mais comme une ressource à valoriser ! Oui nous sommes bel et bien sur l’un des premiers projets du genre, porté par une municipalité visionnaire, qui dans les années 1981, devant agrandir sa station d’épuration, a choisi une voie différente, certes plus gourmande en espace, mais dont la consommation énergétique est négligeable et la plus-value écologique et touristique est indéniable. Ainsi, ici, les eaux usées passent d’abord par un traitement standard, séparation des solides et oxygénations, puis sont naturellement traités dans les zones humides du marais. Nos passionnés hôtes semblent bel et bien en osmose avec cet endroit et nous transmettent leur enthousiasme ! Enthousiasme qui ne pâlit pas pendant l’après-midi où nous enfilons les gants de jardinage et passons plusieurs heures à arracher du lierre, plante très envahissante, menaçant l’équilibre de la zone humide.

Comme si cette journée ne pouvait pas aller mieux, elle marque aussi le début d’une amitié qui nous suivra jusqu’à la fin de notre séjour aux États-Unis et, qui sait, au-delà : celle de la famille de Katy, la famille Allen ! En effet, quelques sacs de 100 L de lierre remplis, Katy nous invite à passer la nuit chez elle en compagnie de son mari Tom, également cycliste à ses heures perdues ! Nous débarquons donc en fin de journée dans cette magnifique demeure où nous sommes accueillis avec une générosité infinie, nous donnant un sentiment de gêne dans un premier temps, puis nous nous laissons bercer par ce doux sentiment qui nous semble un peu lointain, celui d’être couvé par des parents ! La gêne fait rapidement place à la complicité et nous acceptons leur proposition de passer une journée de plus chez eux ! Nous profitons, le lendemain, de découvrir la ville d’Arcata et son marché, où nous découvrons une grande communauté définitivement hippie qui semble s’être rassemblée dans cette ville… un cliché un peu trop parfait pour notre première ville en Californie !

Le soir venu et un dernier succulent repas en compagnie des Allen, ils nous accompagnent à la station de bus Greyhound. Nous faisons route vers San Francisco ; les parents de Victor nous y attendent le lendemain ! Avant le départ, Tom Allen ne manque pas de nous donner le contact de son frère, John, à Albany, ville très proche de San Francisco, de peur que nous ne trouvions pas de logement. Les adieux sont réellement émouvants, nous n’avons passé que 2 jours ensemble, mais cela ne donne que plus de force à cette rencontre. Une fois de plus, nous sommes abasourdis par la gentillesse de ces gens, dans ce pays si contrasté entre conducteurs agressifs et hôtes d’exception.

San Francisco et families !

La nuit, bercés par le lourd ronronnement du moteur, nous débarquons à 4h du matin à San Francisco ! Nous découvrons cette ville mythique plongée dans l’obscurité et la quiétude de la nuit, une atmosphère étrange s’y dégage. Nous partons à la recherche d’un café et observons la ville se réveiller; l’effet de la caféine grandissant nous donne l’impression d’être en parfaite résonance avec elle. Nous passons la journée à déambuler à vélo dans les rues, découvrons le magnifique Golden Gate Park, long de plus de 10 km au cœur de la ville, bravons ses collines aux pentes faisant chauffer nos cuisses et nos freins, l’impressionnant Golden Gate Bridge et le centre-ville avec ses fameux câble-cars, sympathique attrape-touristes dont Victor et ses parents feront l’expérience, payant 21 USD pour 5 minutes de transport ! En fin de journée, nous retrouvons les parents de Victor pour déguster un bon gros burger, tradition oblige ! Le lendemain nous continuons, en famille, la découverte de cette ville marquée de tant de figures mythiques du cinéma et de l’histoire, tel que Harvey Milk et le quartier gay de Castro devenu un peu trop chic à notre goût. Le soir, ne trouvant pas de Warmshowers pour nous héberger, nous appelons donc John Allen…

Nous sommes attendus le soir même pour déguster un poulet bien dodu en leur compagnie ! Nous comprenons vite que la famille Allen n’a pas fini de nous surprendre, et qu’il sera difficile de reprendre la route rapidement. Victor nous quitte le deuxième jour pour un road-trip avec ses parents et nous nous donnons rendez-vous dans 15 jours dans la Death Valley ! Guillaume et moi finissons par passer 5 jours chez les Allen, nous avions peut-être tous besoin d’une pause, après ces 3 mois de voyage intense, où les arrêts ont été rares. En compagnie des Allen, nous passons du bon temps, nous nous laissons un peu chouchouter, discutons beaucoup de politique et ils nous font découvrir les shows satiriques américains, à un mois des élections présidentielles où la menace d’une victoire de Trump semble de moins en moins probable… mais qui sait, cette campagne présidentielle ressemble bien à une émission people, où les rebondissements tiennent le public en haleine jusqu’à sa fin.

City Slicker Farm, un peu de vert au sein de la ville

Pendant ce séjour, nous profitons tout de même de rencontrer une association d’agriculture urbaine à Oakland, la City Slicker Farm. Spencer nous fait alors découvrir un projet excitant travaillant sur 3 axes. Premièrement, faire découvrir le jardinage urbain et biologique par la création d’une sorte de parc public et zone d’agriculture didactique. Deuxièmement, offrir de petites zones de jardinage et des conseils aux habitants désireux de tenter l’expérience. Et finalement, la création d’un marché hebdomadaire avec les légumes du jardin dédiés aux plus pauvres, où le prix des légumes est libre en fonction des moyens de chacun. Un projet qui nous plait évidemment beaucoup, alliant les aspects écologiques et sociaux, encore un exemple pour le futur de notre société !

Central Valley, une sécheresse dorée

Qu’à moitié convaincus de partir, nous quittons finalement les Allen, le cœur lourd à nouveau… Mais, bien reposés, la perspective de reprendre la route nous excite, nous avons certainement développé une petite addiction au vélo, et l’idée de partir à la rencontre du mythique Yosemite National Park et de la Death Valley constitue un défi de taille ! Pour la première fois, nous découvrons vraiment le cœur de la Californie : la Central Valley et ses monocultures à perte de vue. Nous sommes encore plus choqués par la sécheresse qui règne ici et la dépendance immense à l’irrigation. En effet, la Californie fait face à une terrible sécheresse depuis 7 ans, à tel point que l’écosystème de la baie de San Francisco se trouve menacé par manque d’arrivée d’eau douce, déviée pour l’irrigation. Au point également que les entreprises de forages d’eau ont une liste d’attente de deux ans. Une situation extrêmement compliquée entre politique de protection des ressources et poids démesuré des agrobusiness. Nous passons deux durs jours de pédalage face aux vents pour écouler le plus rapidement les 250 km de cette zone agricole monstrueuse, ou notre seule rencontre est une sympathique mygale qui, elle, semble bien apprécier la chaleur et le sec !

Yosemite, entre nature et tourisme

Nous voici aux portes du Yosemite National Park, lieu mythique pour son impressionnante vallée, délimitée par ses gigantesques massifs de granite (comme le fameux « El Capitan », dont l’escalade de près de 900 mètres se fait en 4 jours et 3 nuits encordés) connus pour ses chutes d’eau et ses forêts de conifères. Nous arrivons donc tout excités en fin de journée dans ce décor de rêve, nous avons la chance de contempler au passage les chutes d’eau dont l’orage de la veille a réalimenté après plusieurs mois de sécheresse et nous mettons en quête d’un camping. Notre joie initiale sera cependant mise à l’épreuve, la vallée semble plus peuplée par le tourisme de masse que par les écureuils, pourtant si nombreux ! Nous nous rendons rapidement compte que tous les campings sont pleins et un sympathique panneau nous indique que si le camping est complet, il faut partir et ne pas s’insérer entre deux places, car les Rangers sont à l’affut au petit matin. Cette information hautement pratique ingurgitée, nous nous résolvons à nous adresser au lodge paraissant le moins cher, après être passés devant « The Majestic Yosemite », logis des stars et des présidents. On nous annonce un sympathique prix de 130 USD la nuit, pour une sorte de yourte non chauffée et sans électricité, mais à la vue de nos têtes décrépies et cramoisies, la dame nous fera un prix de 60 USD, sans frais, sans reçu et en cash. Intrigués, nous acceptons et passons une nuit tranquille en se demandant si notre argent est passé dans la poche de l’hôtesse ! Le lendemain, de bonne heure, nous nous ré-adressons au camping mais apprenons qu’il fallait venir à 5h du matin pour avoir une place… Cette vallée si mythique commence à nous apparaitre comme une mauvaise blague quand un ranger ayant visiblement pitié de nous, nous qui ne possédons pas une caravane 60 tonnes pour trouver un camping en dehors de la vallée, nous indique un camping secret pour les randonneurs traversant la vallée. Nous découvrons ainsi un camping complétement vide rien que pour nous au cœur même de la vallée ! Aussi, nous apprenons que la route pour traverser le parc, seule route pour la Death Valley, qui avait fermé pour cause d’éboulis allait rouvrir le lendemain. La chance semble enfin nous sourire ! Nous passons une agréable journée de randonnée entre les grandioses chutes d’eau du Yosemite et rencontrons même, par le plus grand des hasards, une ancienne camarade de classe !

Le lendemain nous nous remettons en route, bien décidés à nous rapprocher de la fameuse « Tioga Pass » à 3000 m d’altitude ! Gonflés à bloc, nous grimpons plus de 2000 m de dénivelé sur une route presque dépourvue de touristes et de voiture et découvrons une autre partie du parc nous paraissant plus magique et sauvage et nous ironisant sur les touristes amassés en contrebas. Nous passerons une nuit à la belle étoile au bord d’un lac jonché de massifs de granites et éclairés par un toit d’étoiles loin du tumulte et des lumières humaines qui nous fera oublier le froid mordant qui gèlera nos sacs de couchage au petit matin !

Le lendemain nous donnons les quelques derniers coups de pédales pour atteindre la Tioga Pass, un léger chatouillis de fierté dans le ventre, mais peut-être aussi en gardant en tête les sommets des Andes qui nous attendent ! Le col passé, les décors se transforment du tout au tout en l’espace de quelques kilomètres. En pleine descente, les paysages défilent à toute allure, nous passons des impressionnants massifs de granites lissés par le temps, à des montagnes plus escarpées de schistes, une roche jaunâtre et sableuse. La végétation elle aussi se transforme, les conifères semblent rapetissés et font place à une végétation plus rase et plus parsemée ! Il n’y a pas de doute, ces paysages annoncent notre arrivée dans une autre région géologique, celle du désert et de la Death Valley.

Mono Lake, un lac préhistorique en sursis

Nous jetons un dernier regard en arrière pour observer les pics enneigés de la Sierra Nevada, et un autre en avant pour découvrir les portes du désert ! Au bout de notre descente, nous voyons émerger d’entre les montagnes une grande plaine rase ainsi qu’un lac scintillant, le Mono Lake, un lac d’exception pour la Californie ! Il nous faudra nous approcher jusqu’à ses berges en compagnie d’une étudiante du Mono Lake Committee pour découvrir et comprendre toute la majestuosité de ce lac. Au pied de celui-ci, nous découvrons un lac trois fois plus salé que l’eau de mer où l’horizon lisse est déchiré par d’étranges formations se dressant des berges ou des entrailles de celui-ci, les « Tufas ». Comme vous l’aurez compris dans cet Etat, l’eau est toujours à la croisée entre l’homme et la nature, entre valeur économique et écologique. Le Mono Lake est un autre exemple de cette dualité rendant cette ressource si complexe et si précieuse. En effet, dû à sa salinité hors norme, ce lac abrite un écosystème très particulier dont certaines espèces primitives, comme les « Brine Shrimp » une espèce de crevettes présentes presque uniquement dans ce lac. A travers ses algues, crevettes et divers insectes, le lac sert également de garde-manger à des nombreuses espèces d’oiseaux et petits mammifères. Mais le bassin-versant du Mono Lake, c’est-à-dire les cours d’eau alimentant le lac, sert également à l’approvisionnement en eau de l’immense ville de Los Angeles à quelques 450 km de là. Une diversion des eaux qui menaça le lac d’asséchement et qui nécessita 17 ans de combat politique afin d’obtenir un amendement définissant un niveau minimal du lac.

En route pour le désert

Marqués par toutes ces différentes facettes de l’eau, quel meilleur moyen de se rendre compte de son importance que de s’enfoncer au cœur du désert californien ? Nous prenons donc la direction de la Death Valley !

Arrivés à ses portes, nous savons qu’il va nous falloir 2 jours pour traverser les 150 km de sa partie la plus isolée, passer un col de plus de 1200 mètres et braver 50 km de pistes sableuses, dernier effort avant de retrouver enfin Victor à Furnace Creek. Nous nous munissons donc d’une bonne crème solaire et de 10 litres d’eau chacun et entamons le col, à un rythme consciencieux afin de perdre le moins d’eau possible, chaque goutte nous est comptée ! Nous nous enfonçons de plus en plus au cœur du désert, les paysages râpés semblent s’étendre à l’infini et nous perdons toute notion de distances tant les points de repères se font rares. Ainsi, lorsque nous arrivons à la limite avec la piste sableuse, il nous est impossible d’estimer les distances, allait-il nous falloir une heure, deux heures ou plus pour la traverser ? Il nous faudra finalement près de 4h pour franchir les 30 km pourtant légèrement descendant de la piste, devant estimer à chaque instant quelle portion de la route semble plus « dur » et devant poser sans cesse le pied à terre dans une partie trop mouvante du chemin, tout en lâchant quelques jurons qui ont au moins le mérite de nous soulager quelques instants ! Mais le dépaysement est total et les paysages sont à couper le souffle, entre le sable gris et jaune, le ciel d’un bleu immaculé et les roches volcaniques d’un rouge saisissant. Il est encore trop tôt pour regretter les douces pluies de Normandie ou les verdoyantes plaines du Jura… mais il nous reste encore près d’une semaine à passer dans le désert, allons-nous finir par nous en lasser ? Nous n’en savons rien, pour l’instant seuls l’arrivée au prochain point d’eau, le repos et la perspective de retrouver Victor le lendemain nous motivent à pousser les derniers kilomètres restants !

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