Tournée AMCP (1/2)

Dassilamé / 1 projection
Attention, une tournée peut en cacher une autre. Cette fois-ci notre partenaire s’appelle l’AMCP Bamboung, l’acronyme de Aire Marine Communautaire Protégée.

On pose nos sacoches à Dassilamé dans un très joli campement au bord de la mangrove où s’enfonce le ponton de 179m qu’empruntent ceux qui souhaitent se rendre au Campement Bamboung, perle de l’AMCP que l’on vous recommande particulièrement.

Mamadou Bakhoum, Président de l’AMCP, est notre hôte. Discussion à l’ombre d’un grand fromager sur les changements climatiques, les ressources halieutiques, l’apiculture mais aussi et surtout au sujet de notre projection du soir, car le temps file et il faut déjà se préparer. Entre deux échanges, Alain s’est évadé quelques heures le temps de s’immerger dans le travail harassant de récolteurs d’huîtres, ou plutôt « récolteuses », car c’est au groupement de femmes locales qu’incombe ce dur labeur. Il en reviendra les mains et pieds couverts de micro coupures. Et non Alain, les gants et les chaussettes de ces dames, ce n’était pas contre le froid !

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Comme d’habitude, le rendez-vous est donné à la population à 20h30. Très belle participation ce soir là où l’intervention de monsieur Bakhoum ne manquera pas de contribuer à la réussite de la soirée : « dans ces films, vous verrez que d’autres ont trouvé des solutions pour répondre aux problèmes que nous impose le changement climatique, pourquoi ne pas s’en inspirer et faire comme eux ? ». Effectivement, c’est bien là notre démarche : partager de bonnes idées. Mais est-ce que les gens se les ré-approprient et si oui comment ? Ça, c’est plus difficile à dire…
Il arrive parfois que l’on nous demande, sourire en coin, ce que l’on va laisser au village après notre passage ou si on prévoit de construire des fours comme dans la vidéo. Ces remarques sont compréhensibles et nous ont poussé à perfectionner l’accompagnement de certaines vidéos (en laissant des fiches ou en donnant des formations, par exemple). Ces réactions ont également contribué à faire nourrir en nous un projet bien plus vaste qui pourrait répondre à ces demandes sans jamais tomber dans l’assistanat. Car certaines remarques dévoilent un caractère passif, dépendant et intéressé. Difficile donc de faire comprendre, dans ce climat d’accoutumance (conséquence indirect de certains projets d’aides nationale ou internationale), que l’objectif de nos soirées cinéma est de partager de bonnes idées qui, finalement, sont à prendre ou à laisser… Et toute la difficulté de nos soirées de projections résident dans notre méconnaissance de la motivation et de l’état d’esprit du village à notre arrivée dans la localité. D’où l’importance d’un partenaire local mieux au fait de ce climat social et à même d’accompagner les populations dans leurs activités.
Pour un même film (dans des contextes de développement similaires et des problématiques locales similaires), le public peut tout à fait être attentif et curieux du début à la fin, comme totalement désintéressé et déçu… Chaque soirée cinéma est donc un vrai challenge et demande une enquête préalable (nombre d’habitants, village électrifié ou pas, poste de télévision, groupement de femmes, mésententes dans le village, ONG présente, village d’immigrés etc, etc.)

Ainsi il n’est pas rare de modifier la programmation d’une soirée à quelques heures de la séance après avoir pris le « pouls » du village. Les 10 premières minutes du film sur l’environnement laissent un bon aperçu de ce que sera la soirée : un échec ou un succès. Il nous est d’ailleurs souvent arrivé de modifier la programmation d’une soirée durant la projection, voire d’anticiper la fin d’un film pour retenir un public venu simplement se « changer les idées » et ça se comprend.

Loin d’être une science exacte, c’est surtout au feeling que se font nos derniers ajustements. Même avec les meilleurs partenaires locaux, des « fausses notes » : ça arrive, comme ce sera le cas, deux jours plus tard, à Némaba.

Nous avons coutume de dire à nos partenaires que nous sommes simplement venus ici pour accompagner leurs actions par une ou plusieurs soirées cinéma, par notre collection de films, par un « spectacle » clé en main. Le cinéma, le divertissement, la théorie : c’est nous, le concret, c’est à eux ! Alors messieurs dames, au boulot !

Bani / 1 projection
La première projection de la tournée AMCP s’étant bien passée, nous partons donc confiants à Bani (distant d’à peine 1km) . La proximité des premiers villages de la tournée nous offre le luxe de revenir, après séances, au campement de Dassilamé franchement agréable.

Nous rencontrons la représentante locale de l’AMCP chez qui débute une longue attente avant la projection. Du temps libre mis à profit pour le triage des fleurs de bissap pour Alain (ce qui lui « tatouera » les mains durant de longs jours) et le rituel du Thé Ataya pour Vincent. Qu’un toubab fasse le thé étonne toujours, que celui-ci soit appréciable : encore plus (il faut dire que ce rituel prend 1h minimum).

Yoro observe silencieux, assis sagement dans un coin, baillant aux corneilles. Lui qui depuis le début n’a jamais voulu manquer une seule projection finit par céder sous le poids de la fatigue. Et oui Yoro, charité bien ordonné commence par soi-même alors : au lit !

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La séance commence, les enfants sont assis sur les nattes, turbulents, couvrants de leurs cris le discours de notre interlocuteur désigné et qui manque cruellement d’assurance. Pour reprendre le dessus, Vincent tente la technique du « Allo allo », découverte quelques jours plus tôt lors d’une projection avec Fatou de Nébéday comme animatrice et qui consiste à faire dire, en cœur, aux enfants « J’écoute » lorsque l’on dit « Allo, allo ». Les enfants comprennent tout de suite et la centaine de gamins se calme instantanément : magique ! Merci Fatou.

Projection donnée, nous rentrons au bercail où la nuit sera ponctuée de jappements de hyènes longeant la rive.

Sourou / 1 projection
Les jours qui suivent, Vincent fera de nombreux allers retours entre Toubacouta et Dassilamé pour des prétextes bidons (comprendre acheter des bidons d’eau minéral de 10L) l’obligeant à repasser par Bani. À la seule vue du Cinécyclo, tous les enfants se retournent et lui lancent des « Allo allo » pour savoir si il « écoute ». La réplique est devenu un jeu et des petites colonnes d’enfants se baladent dans les ruelles entonnant ce nouveau slogan !

Yoro s’est trouvé deux bonnes raisons d’aimer la boutique de Sourou. Déjà, elle est tenue par des Peuls, ensuite parce qu’il y a une télé où l’on peut regarder, au hasard, du football ! Cette langue commune et cette passion du ballon rond le rapproche un peu de son village où, durant plusieurs années, il fut particulièrement investi auprès de l’équipe locale, comme joueur d’abord puis comme membre du staff. Cette expérience lui a permis de développer deux de ses qualités qu’Alain et Vincent ont tout de suite appréciées chez lui : sa générosité et son engagement exceptionnel.

Petite anecdote concernant la soirée de projection : parmi les volontaires à la pédale, un groupe de jeunes adolescents rigolards. Et comme ils n’avaient pas suffisamment ri, il décide d’aller chercher « le fou du village » et de le recommander à Alain pour une petite session de pédalage. Bonne idée ! Alain ne remarquant rien de particulier en cet homme qui a bien le droit de participer à la soirée le fait monter en selle, mais, voilà qu’il se met à pédaler à l’envers ! Alain l’aide en appuyant sur ses genoux, mais rien à faire, dès qu’il enlève ses mains, l’homme se remet à pédaler en sens inverse. « Descends, Descends ! » lui dit-il mais, l’homme ne semble pas vouloir bouger du vélo. Pendant ce temps, vous imaginez bien, la bande d’amis, hilare, et pliée en quatre qui se tape sur le ventre. Le courant électrique n’arrivant plus dans le Hibou, notre équipement se coupe logiquement après 1 minute et l’on doit tout redémarrer en s’excusant, mesdames et messieurs, de cette courte interruption indépendante de notre volonté. Le « Ils nous ont couillonnés ! » lancé par Alain en fin de séance restera pour Vincent et Yoro une phrase culte du CTS, bonne à ressortir à la première occasion.

NémaBa / 1 projection
C’est au tour de Vincent de prendre une soirée « à lui » loin de l’écran, du vélo et des 300 personnes qui viendront pourtant ce soir là. La soirée Cinéma est donc entre les mains de Yoro et Alain. Bonne projection les gars !

Au petit matin, Vincent enquête auprès d’Alain et de Yoro pour savoir comment s’est passée la projection. « Tout va bien » selon Alain. Quant à Yoro, il a le moral dans les chaussettes et ne veut même pas en parler… Que s’est-il passé ?

Yoro s’explique finalement. L’installation du matériel et les deux premiers films attirent rapidement plus de 300 personnes, ce qui signifie une projection hors-norme. Bien qu’étant habitué après plus de 80 projections (et même plus pour Alain qui compte à son actif 2 ans de cinéma itinérant véhiculé), accueillir autant de personnes impressionne toujours.

Vient ensuite le film « Changing with the Climate » durant 52 minutes et là, au bout de quelques minutes, une grande partie du public, ennuyé, rentre chez elle. Alain digère mal ce mouvement de masse et peine à garder son sang froid. Yoro tente, tant bien que mal, d’apaiser la situation et de gérer le public et la technique avec laquelle il n’est pas encore à l’aise. Bref, une soirée peu agréable pour les organisateurs et plutôt stressante.

Ce soir là, Alain confie à Yoro qu’il quittera le Cinécyclo Tour d’ici deux semaines. Une nouvelle opportunité de voyage s’offre à lui, sa décision semble prise… Yoro, qui s’était lié d’amitié pour Alain et pour qui sa présence jusqu’au fin du tour était indispensable, accuse difficilement le coup.

Le lendemain, Vincent ressort à Yoro le même discours qu’à Médina Diakha où le public n’avait pas répondu présent : « L’important, c’est de faire de son mieux… Même si ce film a permis à une seule personne d’avancer, alors c’est gagné… 100 personnes sont parties mais 200 sont restées etc, etc… » Rien à faire, Alain quittant le CTS, une nouvelle page de ce voyage devra être tournée.

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Vincent Vélo Écris par

Fondateur de la structure Cinécyclo, Vincent est avant tout un aventurier dans l'âme. Après avoir vécu au Québec, en France et en Italie, il se lance dans le Cinécyclo Tour du Sénégal en 2015 au guidon de son vélo cargo cinéma.

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