Rencontre avec l’Apess

Djidiery 1 Toucouleur (3km bitume)

Nous longeons désormais le fleuve Sénégal sur une route distante d’un kilomètre à peine. La fine bande de terre cultivable coincée entre cette route et le fleuve forme ce que tout le monde appelle ici : la vallée. Elle offre à nos yeux une longue oasis de verdure ponctuée, par endroit, de frêles palmiers.

Riz et canne à sucre sont les deux gagne-pains de la région. Le Nord du Sénégal est connu pour ses grandes exploitations rizicoles modernisées d’où l’on tire le fameux riz de la vallée. Acheter ce riz là (bien que moins parfumé dira t-on) est un acte politique, voire patriotique pour beaucoup de Sénégalais (et surtout de Sénégalaises, car, qu’on se le dise, au Sénégal, c’est toujours madame qui fait la cuisine !) Soutenue par un vaste programme d’autosuffisance en riz, la région a ainsi pu moderniser et étendre ses pratiques encourageant, de ce fait, beaucoup de paysans à se lancer, à leur tour, dans le riz, le riz et encore le riz ! Malheureusement, les préoccupations environnementales restent fébriles pour cette monoculture boostée à coup de pompes chimiques. Des panneaux bordent même les routes rappelant aux populations les risques qui pèsent sur eux en cas de contamination.

Nous quittons ainsi le Djioudj, la gorge bien irritée, saluant, au passage les pionniers de la région au volant de leur imposant tracteur Deere dernière génération.

Après un repos salvateur à Richard Toll, nous voici à Djidiery I Toucouleur.

Rencontre avec notre partenaire en la personne de Ousmane Diouf, un jeune employé de l’association APESS, comprendre Association pour la Promotion de l’Élevage dans le Sahel et en Savane.

Lui-même fils d’éleveur, ce jeune diplômé a fait le choix de retourner dans son village pour venir prêter main forte aux paysans de sa région, qui, pour la plupart, n’ont jamais mis les bottes dans une université.

Nous nous trouvons dans le Nord et ici : c’est le territoire des peuls, des éleveurs et de leurs troupeaux. Dans le Nord, un homme ne possède rien tant qu’il n’a pas une vache. Parfois, les vaches sont même l’objet de dotes et il ne viendra à personne l’idée d’en utiliser une pour labourer comme cela peut se faire en Casamance, par exemple. Non, ici, la vache vaut son pesant d’or et on en prend soin. Avoir un troupeau de vache c’est un peu comme avoir un compte épargne à 3,30%.

Durant nos virées, avec Yoro, nous serons souvent contraints de nous arrêter, au milieu de la route, pour laisser passer la centaine de bovins dans un nuage de poussière et de meuglements. Le troupeau est guidé par de jeunes bergers, bien souvent des enfants, un long bâton à la main portant le chèche et la robe traditionnelle peul. Yoro aussi a longtemps gardé les vaches ainsi, partant en brousse des jours entiers.

Avec le fleuve comme unique frontière, la vaste étendue sahélienne semble s’étendre à l’infini. Au milieu du tapis sablonneux se trouve une route noire sur laquelle, très tôt le matin, on observe déjà quelques mirages nous rappelant qu’ici, plus qu’ailleurs, la chaleur accable. Les villages qui se trouvaient déjà au bord de la route sont les mieux lotis. De là, la ville est plus facilement accessible. Plus facile, aussi, d’aller vendre ses légumes. Et quand la chance sourit, il est toujours possible de glaner aux affamés voyageurs quelques billets en échange de mangues mûres. D’autres, plus éloignés, n’ont pas hésiter à migrer pour venir se greffer le long de cet axe de vie.

Didjeri 1 / atelier foyer amélioré avec Ousmane et le village
Didjeri 1 / atelier foyer amélioré avec Ousmane et le village

Ousmane et sa femme nous réservent un bel accueil sous le toit de paille du salon extérieur. Eau fraîche, douche, matelas moelleux et un repas qui mijote… Ouvert sur la façade Est, cet abri d’à peine 8m2 et situé au milieu de la vaste court du domaine Diouf, semble être devenu la pièce à vivre où les cousins, les frères, les tantes et les grands-pères se croisent, bavardent, se reposent un peu ou viennent manger. À notre arrivée, deux jeunes femmes passent le temps, l’une est allongée sur une natte, la tête reposant sur les genoux de l’autre. Méticuleusement, une pointe à la main, la plus âgée tricote la masse crépue de cheveux ébène qui encombre la tête de sa camarade. Crochetant bon an mal an, un treillis se dessine sur le crâne de la victime, car, on ne va pas vous le cacher, vue les grimaces que la jeune femme nous livre et les quelques larmes, ça n’a pas l’air plaisant du tout !

« Ar Niamey ! » Peut-on désormais entendre, « Venez manger ». Autour de l’unique plat, chacun vient déguster sa part de Thieb richement décoré et accompagné de légumes et de poisson. La jeune femme d’Ousmane tient à nous faire bonne impression et ajuste artistiquement quelques tranches de poivrons rouges autour de demi citrons verts.

Didjeri 1 / projection
Didjeri 1 / projection

Le chef de village habitant à l’extérieur même de la localité, nous nous chargeons de prévenir la population de l’évènement du soir. Nous nous arrêtons devant la demeure de « Socrate », un jeune du village dans la vingtaine, passionné de philosophie pour qui notre venue est l’occasion de débattre. Son surnom est inscrit à la peinture blanche sur le fronton de sa case et d’autres éminents philosophes apparaissent également ça et là sur les murs de briques. Yoro jubile, lui qui, depuis presque 6 mois n’a pas eu l’occasion d’échanger sur la philosophie, son domaine de prédilection. Son intérêt se porte sur la nature même de notre voyage. Nous l’intriguons, il mène l’enquête : « Pou pou pou pour quoi vous vous vous a a a avez choi choi choisi le Sé Séné Séné Sénégal ? »… Un bègue ! Yoro fait aussitôt volte face : « Non, vraiment, on ne peut pas débattre avec un bègue ! Et même, si tu as un bègue comme ami, imagine ! Il va te bouffer tout ton argent si jamais tu dois l’appeler au téléphone !!! » Bien que Yoro soit un jeune véritablement formidable, ouvert d’esprit et tolérant, là, je sors le CARTON ROUGE ! Yoro, franchement, tu peux mieux faire ! Il sera cependant bien content de retrouver son ami Socrate, le soir venu, sur le vélo à fournir de l’électricité durant une bonne partie de la projection accompagnant la foule de son rire communicatif.

Dagana (10km bitume)

Après une petite excursion en ville (marché populaire, ancien bâtiment colonial du temps des comptoirs, vieux bateaux à quai…), nous prenons nos quartiers au sein de l’APESS à l’entrée même de Dagana. Ousmane Ba et son fils Djibril nous accueillent très chaleureusement. Un bon mot est tout de suite adressé à Yoro, dont le Diallo de nom vient écorcher l’oreille des deux Ba. Car ici, comme dans tout le reste du pays, on pratique le cousinage ! Les Ba taquinent les Diallo, et les Diallo taquinent les Ba, c’est ainsi au Sénégal ! Le cousinage est essentiel dans le pays. Il permet, notamment, de maintenir une cohésion sociale inter éthnique et ce, malgré les périodes sombres du passé (guerres, esclavage…) et les différences de chacun (dialectes, niveau social…). Un Ba traitera donc (sur le ton de la plaisanterie bien sûr) un Diallo comme son esclave et tout deux riront aux éclats. Imaginez si un fils de grand propriétaire blanc du Sud des États-Unis venait à taquiner un fils d’esclaves afro-américains… Impensable, n’est-ce pas ?

Dagana / fin de séance à l'APESS
Dagana / fin de séance à l’APESS

Pour faciliter le contact et faire connaissance, nous invitons le jeune Djibril Ba à un repas détox (comprendre sans huile, sans oignons et sans cube magique qui sont les trois composants de base de la cuisine sénégalaise). Djibril étudie l’agronomie à l’université de Saint-Louis. Entre deux bouchées, nous en venons à discuter des rites traditionnels qui, semble-t-il ne sont plus légion dans le Nord. Nos souvenirs de danses et de masques en Casamance et dans la région de Kédougou résonnent aux oreilles de ce jeune universitaire comme appartenant à un temps révolu. Et pourtant… Yoro tient à nous livrer une description détaillée de la fête des vaches telle qu’elle est pratiquée depuis la nuit des temps à Kédougou.

Deux à trois fois par an, souvent durant la période de sécheresse, les villageois organisent une grande cérémonie en l’honneur de leurs bovins : c’est la fête des vaches ! Dans un champ, les hommes creusent un trou d’environ 10 centimètres de profondeur sur une surface sphérique de 2 mètres de diamètre à peine. On remplit ensuite ce trou d’un « médicament » : sorte de mixture gluante faite d’un mélange de racines broyées, de feuilles d’arbres, du lait de vache, du sel et enfin d’eau. Cette potion magique permettrait, nous dit-il, de favoriser la reproduction, d’offrir une bonne prévention contre les maladies et de donner de l’appétit. Il s’agit donc là d’un vrai cocktail de sels minéraux et de vitamines permettant aux vaches de mieux se préparer à la longue période de sècheresse qui les attend.

Habituellement, les bergers ont coutume de sortir les vaches chaque jour à 11h pour les emmener paître en brousse. Mais le jour de la fête, on les fait languir ! C’est seulement à 13h que le berger vient leur rendre visite avec, dans son seau, un peu du médicament ! À la simple odeur, le troupeau sait instantanément qu’aujourd’hui : c’est jour de fête et qu’un grand festin l’attend ! Toutes plus excitées les unes que les autres, les vaches se précipitent alors au pas de course vers le mare miraculeuse dans une course incroyable où les hommes tentent de les battre en vitesse ! Parfois, certains trébuchent et tombent, mais, Yoro nous affirme que les vaches forment un cercle autour du malheureux pour éviter d’être piétiné.

Au plus grand moment de la fête, les femmes se trouvent d’un côté du trou chantant et frappant en rythme dans leurs mains. Elles portent des habits d’apparat, mais on ne trouve pas de rouge, car cela effrayerait les vaches. De l’autre, on peut voir les hommes qui accourent avec leurs bêtes. Les plus jeunes bergers s’amusent même à sauter au-dessus du trou évitant ainsi d’y être précipités par les bêtes. Grâce à cette grande fête, les villageois gardent la mémoire vivante et continuent d’offrir à leur troupeau ce dont ils ont besoin pour attaquer la saison chaude. Et puis, c’est une bonne raison pour faire la fête ! Une autre forme de savoir et de pratiques qui épatent tout simplement le futur docteur en agronomie.

Soutoura (3km sable)

Notre prochain village se nomme Soutoura et se trouve à 3km de Dagana via une piste bien trop sablonneuse et qui nous fera bien suer. À l’écart de la ville et de ses lumières, Soutoura est un village éclaté composé d’une multitude de concessions dispersées sur plusieurs kilomètres carrés. Le nom de ce village signifie « caché » dans leur dialecte car, à ses origines, le village était invisible de la route et pour cause : il se trouvait au cœur d’une grande forêt. Aujourd’hui, plus rien ne subsiste de ces arbres, car il a fallu couper pour gagner en terres de pâture, en bois de chauffe ou de construction. Au Sénégal, la pression qui pèse sur les milieux forestiers est énorme et la démographie ne cesse d’augmenter. À l’heure actuelle, l’équivalent de 300 terrains de football de forêt disparaissent chaque jour.

À Soutoura, chaque famille a son espace de pâturage et au milieu : un petit pâté de maisons, accentuant de ce fait fortement l’isolement de ces populations.

La famille qui nous accueille n’est autre que celle de Djibril Ba que Yoro a déjà rebaptisé « Docteur » bien qu’encore en seconde année de Master.

À notre arrivée, nous nous présentons au groupe de femmes assises sur des bancs en rotin à l’abri du soleil sous une sorte de pergolas. Une petite case en dur se trouve juste derrière : les chambres probablement. Aucune ne parle français, la zone n’avait pas d’école jusqu’à ce que Ousmane, le père de Djibril, en construise une en contre bas de sa maison. Depuis, les éleveurs de Soutoura ont envoyé leur enfants en classe, même si cela n’a pas été facile. Djibril nous raconte qu’au début, les parents transmettaient sans cesse à l’enseignant des messages adressés à leurs enfants pour qu’ils viennent les rejoindre au champ une heure ou deux pour les aider. Une bonne réunion parents prof et tout est rentré dans l’ordre !

Les femmes semblent intimidées par notre présence, elles discutent avec Djibril dans leur dialecte et se mettent à rire. Djibril m’explique : c’est ma tenue ! Elle leur paraît indécente, il faut que je mette un pantalon… Le petit short de footballeur et les genoux apparents : c’était probablement déjà trop d’émotion ! Je m’exécute avant de m’asseoir à leur côté avec Yoro et Docteur.

Soutoura / Projection
Soutoura / Projection

En attendant la projection du soir, Djibril nous explique tout ce qu’il a pu apprendre sur le lait en salle de classe alors, qu’en arrière plan, les femmes s’activent à la traite. Elles utilisent pour cela un bol en bois, taillé d’une pièce et gros comme un saladier. Elles vont tout d’abord chercher un petit dans l’enclos des veaux qu’elles viennent ensuite attacher à la patte arrière de leur mère. Elle prélève une partie du lait qu’elles conservent plus tard dans un gros contenant, en plastique cette fois. Djibril nous explique qu’avec le temps, une couche de dépôt se forme sur leur bol en bois impactant sur la qualité du lait. Ceci dit, l’association avec laquelle nous collaborons dans la zone et à laquelle appartient aussi Djibril réorganise actuellement la filière et fournti du meilleur matériel aux concernés. La principale problématique était la qualité et la vente du lait en plus de sa conservation. Il s’agit d’un produit fragile qui doit être rapidement transformé ou consommé. C’est là l’une des seules sources de revenus de ces familles. L’Apess a donc imaginé compléter la filière laitière grâce à l’apport de triporteurs à moteur essence destinés aux livraisons de lait entre les producteurs et le transformateur. Le collecteur de lait achète le produit aux femmes, puis va le revendre un peu plus cher, à une importante usine de la région fabriquant du lait caillé pour la grande consommation. Le collecteur s’occupe aussi du contrôle qualité sur le lieu de collecte grâce à un ensemble d’outils et de testeurs mis à disposition par l’Apess et par l’usine. Ces triporteurs assurent ainsi à chaque famille d’écouler, chaque jour, le stock du matin et du soir

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Vincent Vélo Écris par

Fondateur de la structure Cinécyclo, Vincent est avant tout un aventurier dans l'âme. Après avoir vécu au Québec, en France et en Italie, il se lance dans le Cinécyclo Tour du Sénégal en 2015 au guidon de son vélo cargo cinéma.

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