Par Guillaume Blanchet
Tout juste après avoir passé la douane américaine et embarqué sur le bateau assurant la liaison entre les villes de Victoria et Port Angeles, un américain un peu atypique nous aborde. Nos vélos et notre paquetage l’intrigue visiblement. Sa locution est rapide et ses questions nous assaillent : ‘Where are you from?‘ ‘Where are you going to?‘ ‘Where do you usually sleep?‘ ‘How long will you travel?‘ ‘What kind of job did you do before this trip?‘… Si ces questions sont assez banales, son attitude est assez excentrique : à chacune de nos réponses, nous avons droit à des exclamations un peu exagérées qui s’entendent sur tout le pont du bateau: ‘Awesooome !‘ ‘Amaaaazing !‘ ‘Jeeeesus !‘ ‘Gooossh !‘ ‘I looove that !‘. L’enthousiasme de ce premier américain rencontré nous surprend quelque peu, mais nous passons un bon moment à échanger sur notre voyage. Finalement, après une petite heure de navigation dans l’obscurité grandissante, les lumières de la côte américaine se rapprochent et nous accostons vers 21h. Le contrôle douanier est une simple formalité et nous nous pressons de remonter sur notre vélo afin de rejoindre notre hôte du soir, qui habite à une petite vingtaine de km du port.
Après une petite heure de vélo passée au milieu des bois, nous arrivons finalement chez Lonnie. Grand gaillard plutôt discret, celui-ci nous accueille sans broncher à une heure assez tardive. Autour d’une bière, nous faisons connaissance avec ce personnage au grand coeur : depuis 3 ans, celui-ci s’est inscrit sur tous les réseaux de type WarmShowers, Couchsurfing ou encore Workaway pour accueillir les voyageurs à la recherche d’un toit. Il nous montre son livre d’or ainsi qu’une carte du monde où est indiquée l’origine de tous ces invités d’une nuit ou deux. Nous sommes ébahis : plus de 600 personnes du monde entier ont déjà pu profiter de l’hospitalité de Lonnie ! Et celle-ci est grandiose : il met à disposition son grand terrain sur lequel 6 cabanons avec lit, tous fabriqués par ses soins, n’attendent qu’à recevoir du monde. Lorsqu’on lui demande pourquoi il fait cela, il nous répond qu’il aime bien rencontrer des gens. Lorsqu’on lui demande quels sont ses hôtes les plus mémorables, il peine à nous en donner quelques-uns en particulier… Dans toutes nos discussions, Lonnie se montre très humble. Le lendemain matin, après un petit déjeuner copieux à base de pancakes au sirop, nous faisons un petit tour du propriétaire. Sur le terrain, on découvre des arbres fruitiers en abondance, des baies par-ci par-là, un poulailler qui déborde d’œufs ou encore des volières pleines d’oiseaux aux couleurs et plumes toutes plus variées les unes que les autres. On nourrit aussi ses deux énormes cochons d’à peine une année et dont Lonnie ne sait déjà que faire… Nous sommes émerveillés par ce terrain où règne un léger désordre, mais où la nature semble se montrer aussi généreuse que notre hôte. La matinée passe très vite et déjà nous avons un peu de retard pour notre prochaine rencontre de la journée.
A quelques encablures de là, nous sommes attendus au sein du Albright Native Plant Center. Dans ce centre d’horticulture, le National Olympic Park cultive et reproduit les semences de plantes autochtones pour ses projets de restauration. Le plus important de ces projets concerne la restauration de la rivière Elwha, où deux barrages hydroélectriques ont été détruits en 2011 et 2012 afin de permettre aux poissons migrateurs (i.e. de nombreuses espèces de saumons) de pouvoir remonter à nouveau jusqu’à la source et accéder ainsi à toutes les zones de reproduction que la rivière offre. Vétustes, ces deux barrages ne produisaient plus beaucoup d’électricité et entravaient le bon fonctionnement hydrologique (e.g. crues et décrues de la rivière, transport sédimentaire) et écologique (e.g. migration des espèces) de la rivière. Après concertation entre tous les acteurs impliqués au niveau de la rivière, le potentiel écologique et touristique de la restauration de cette rivière a été jugé supérieur à une éventuelle prolongation des titres d’exploitation hydroélectrique. C’est un projet de longue date (les premières discussions remontent au début des années 1990) et exemplaire en termes de gestion et de coordination, avec notamment une forte implication des communautés indigènes. Il s’agit aussi du plus grand barrage démoli aux USA, ce qui en fait un projet pilote en termes d’études scientifiques pour ce genre de restauration écologique et qui sert maintenant de base à d’autres projets similaires à travers le pays. Au sein du centre d’horticulture, les tâches sont nombreuses et beaucoup de bénévoles viennent régulièrement apporter leur aide. Ici toutes les techniques de multiplication végétale sont pratiquées en fonction des espèces que l’on cherche à replanter. Entre la récupération de graines ou de plants, la gestion d’une banque de semence, le bouturage de certains plants, la germination et la mise en culture des plants,… il y a du travail tout au long de l’année. Lors de notre passage, c’est concassage de baies, tailles d’épis ou encore tamisage de graines qui est au programme. Laurel, cheffe du centre, nous explique l’intérêt d’avoir à disposition autant de matériel végétal à disposition. Dans le cadre du projet sur la rivière Elwha, il s’agit surtout d’assurer une rapide colonisation végétale des berges supérieures en amont des anciens barrages. Suite à la destruction de ceux-ci, les sédiments qui s’étaient accumulés sont progressivement partis (voir cette vidéo), laissant place à des berges nues qu’il faut maintenant stabiliser avec des plantes locales. Un apport conséquent de jeunes plants et une surveillance accrue au cours des premières années de recolonisation est nécessaire afin d’éviter que des espèces invasives ne s’installent sur place au détriment d’espèces locales. N’ayant pas encore pu voir la zone de l’ancien barrage, nous décidons de nous y rendre le lendemain.
Entre temps, nous passons la soirée chez Liz, une employée du centre, qui n’a pas hésité à nous proposer son jardin pour planter la tente à mi-chemin entre le centre et la rivière Elwha. Après une bonne potée de légumes (notre spécialité culinaire développée au fur et à mesure du voyage), la soirée vire en session yoga et chant. Durant presque deux heures, la mélodie de « No Women, No Cry » de Bob Marley résonne dans le salon. La soirée se finit un peu tard et repartir le lendemain matin s’avère un peu plus dur que prévu. Après un rapide passage par l’office du parc pour acheter les permis d’entrée et faire un peu de repérage sur les choses à voir, nous nous dirigeons vers la vallée de l’Elwha. Au programme, visite de la zone de restauration et source d’eau chaude ensuite. Sur la route, et au fur et à mesure que l’on s’approche de la rivière, de nombreux panneaux appellent à arrêter les activités minières locales (extraction de roches et de graviers) pour garantir une rivière « en bonne santé ». L’engagement local pour la protection de l’Elwha semble bien présent ! Sur place, la vue depuis les vestiges du barrage sur la rivière est imprenable. On prend toute la mesure de l’impact paysager qu’un tel projet engendre. En regardant en contrebas, en plein milieu des fondations du barrage, on aperçoit un saumon. Nous sommes en pleine période de migration et celui ci est ici pour perpétuer l’espèce, en témoigne sa danse frénétique contre le gravier ainsi que sa queue abîmée. Tout un symbole !
Nous continuons ensuite le chemin qui s’enfonce un peu plus dans la vallée. Sur notre carte, le mot ‘hotspring’ (i.e. source d’eau chaude) apparait au milieu de la forêt sur le flanc de la montagne que nous grimpons. Un site de bivouac est aussi situé juste à proximité. Pour nous cela résonne comme la promesse d’un bon bain chaud dans un décors grandiose en cette fin de journée. Sur le chemin, des panneaux indiquent qu’un pont est endommagé et que son franchissement se fait aux risques et périls des randonneurs qui s’y aventurent. Nous n’hésitons pas beaucoup et nous pensons que ça vaut la peine d’aller voir sur place ce qu’il en est. Arrivés au pied du pont, nous ne comprenons pas, celui ci semble en parfait état. Et même si nous ne sommes pas des ingénieurs civils, il nous semble que la structure est largement dimensionnée pour résister au poids de 3 vélos… nous prenons tout de même nos précautions. 30 minutes plus tard, nous voilà enfin aux sources d’eau chaude. Le décors est à la hauteur de nos espoirs : au milieu d’une forêt moussue se trouvent une multitude de petites sources d’eau chaudes surplombant un torrent. A plusieurs endroits, de petites bassines aux couleurs vives et à l’odeur soufrée nous tendent les bras. Une un peu plus profonde que les autres attire toute notre attention et, après quelques instants d’hésitation, nous nous y plongeons. Quel bonheur ! La zone de bivouac n’est peut être pas très loin, mais sortir du bain pour installer le campement nous demande un peu d’effort.
Le lendemain, nous traversons la fin du Olympic National Park pour rejoindre l’océan Pacifique. Tout juste passé le panneau de sortie du parc, la forêt s’éclaircit sacrément : les coupes forestières sont importantes, de nombreux panneaux critiquent la ‘main mise’ du parc sur les forêts locales alors que le secteur de la sylviculture semble ici en pleine crise et de nombreux panneaux de soutien pour le candidat Trump fleurissent bon train. Changement d’ambiance total, nous voilà en territoire très conservateur ! Pour nous, la fin du parc marque aussi le retour de la pluie pour une bonne partie de notre voyage. Sur la route côtière, les forêts sont très humides et la vue sur l’océan brumeuse. Au détour d’un cèdre géant, on rencontre un californien en vacances. En français, il nous dit qu’il vient passer ses vacances dans la région pour quelques semaines. « C’est le tourisme de la pluie ici !« . Et il n’est visiblement pas le seul, les plaques d’immatriculation de l’État de Californie sont nombreuses. Nous, sur nos vélos, on se fait rincer et à ce moment, on a un peu de peine à comprendre cette migration saisonnière pour les climats humides…
Après 7 jours de vélo dans l’État de Washington, nous arrivons finalement sur les bords de la rivière Columbia. Depuis la petite plage du camping où est installé notre tente, on aperçoit au loin un grand sommet à l’horizon. Il s’agit du Mont Saint Helen, célèbre volcan américain. Celui ci annonce pour nous etnotre arrivée au sein de l’État de l’Oregon.
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