Dassilamé /
La Tournée AMCP terminée, un petit retour s’impose à Dassilamé pour un compte-rendu au Président de l’Aire Marine.
Une journée de libre avant le départ, le temps de plier nos bagages, faire un peu de mécanique vélo, se détendre mais aussi préparer le départ de demain qui ne se fera pas en vélo cette fois-ci, mais en pirogue, avec l’ami Ansou. Il faut donc préparer le moteur, mobiliser une pirogue et fixer l’heure du départ (5h).
Notre séjour dans le Saloum touche à sa fin. Les souvenirs des projections, des rencontres et des paysages, la générosité et l’intérêt de nos partenaires emplissent désormais nos têtes et nos cœurs de bonnes ondes.
Cette nouvelle étape nous donne également à réfléchir sur la dynamique de l’aide au développement, ses défis, ses effets pervers aussi… Après plus de 5 mois à sillonner les routes du Sénégal et à rencontrer les « acteurs » de développement et les villageois, notre regard s’est affiné, plus critique il est vrai, car force est de constater que « tout n’est pas rose ».
À un mois et demi de la fin du périple, il est temps de jeter un œil dans le rétroviseur et de constater le chemin parcouru. Faire le bilan ? Pas tout à fait mais un peu quand même…
Interlude /
L’écriture de ce journal, récit fidèle de nos aventures jusqu’alors narrées par notre compagnon de voyage Alain, est aujourd’hui la tâche de Vincent qui, si vous le permettez, profitera de ce temps d’écriture pour pousser la réflexion sur nos actions passées et à venir. Aussi m’autoriserez-vous à passer du « on » au « je ».
Il y a 3 ans germait l’idée d’un voyage solidaire fait de vélo et de Cinéma. D’une simple envie de partage et de découverte allait naître un projet complexe dont le plein potentiel m’échappait encore…
Beaucoup de travail, de recherches, de rencontres et de coups de main furent nécessaire à la mise en place de cette première « aventure », à ce « test » grandeur nature… Dès les premières phases d’écriture du projet, déjà, germait en moi l’espoir que ce « tour » puisse laisser naître, dans son sillon, un projet de plus grande envergure, de partage et de connaissance. Aussi ai-je parfois présenté ce qui était alors « le projet » du Cinécyclo Tour du Sénégal comme un « projet pilote ».
À quoi cela pourrait-il ressembler ? Y aura t-il du monde aux projections ? Comment travailler main dans la main avec les populations ? Le matériel et les « bonhommes » vont-ils tenir le coup ? L’image, le cinéma, les vidéos peuvent-ils réellement faire avancer les choses ? Suis-je sur la bonne piste ? Etc, etc.
Ce qui m’attendait m’était totalement inconnu et mille obstacles auraient pu me dissuader de poursuivre cette idée que l’on disait « folle ». Mais j’avais la profonde conviction que cette « idée » faisait sens car le cinéma a cette capacité universelle, à susciter l’imagination, à attiser la curiosité et l’envie d’entreprendre et à faire rêver… J’étais persuadé qu’en prenant « plaisir » à voyager, lentement, en vélo à la rencontre des populations, je pourrais grandir et trouver l’énergie nécessaire à dépasser les épreuves qui m’attendraient en chemin. Je savais enfin, qu’en matière d’environnement et d’agriculture, voir sur l’écran d’autres personnes agir et réussir pourrait permettre au public de trouver, peut-être, l’élan, le courage qui manquent pour se mettre à l’œuvre. Aussi, n’avais-je plus le choix que d’aller jusqu’au bout.
Djifer (3h30 Pirogue) /
La journée démarre au cri de la hyène. Il est 4h45, le réveil résonne dans la case au toit de paille. Ansou, notre piroguier, est déjà sur le perron. Chacun émerge péniblement d’un sommeil profond, compactant en silence les couvertures, sacs de couchage et autres oreillers. Sans réfléchir, les yeux dans le vide, nos mains suivent dans la pénombre, le chemin si familier de nos sacoches où l’on vient fourrer nos affaires. Lampe frontale, téléphone portable, bouteille d’eau, les dernières pièces du puzzle sont elles aussi rassemblées : on peut partir.
Ansou, qui, comme tout capitaine est habitué à des réveils matinaux, profite de mon état de semi-conscience pour me glisser, dans chaque main, un bon gros bidon d’essence : « Vas mettre ça dans la pirogue ! ».
Plus bas, notre embarcation nous attend, quelque part, probablement laissée au plus proche de la rive par le précédent piroguier. Une chance pour moi, je n’aurai pas à parcourir les 200m de pontons les bras ballotant sous le poids de mes fardeaux. Aucun bruit, je devine à peine les clapotis de l’eau. Seules les hyènes que l’on appelle « Bouki » en Wolof accompagnent le bruit de mes pas dans ce noir silence.
Le faisceau de ma frontale cherche la pirogue de part et d’autre du ponton. Devant un bosquet de palétuviers, la voici, colorée, richement illustrée, fendant l’abime d’un éclat arc-en-ciel. Mon esprit rêveur se heurte cependant à la dure réalité : la belle pirogue repose sur un ban de vase et il parait évident qu’il est impossible de partir : il faut attendre la marée haute qui arrivera vers 7h. On retourne donc dans la case et je passe les deux heures qui suivent à calmer Ansou, en colère contre son collègue de la veille et contre lui même pour ce contre-temps relativement comique.
7h30 : après avoir poussé, manipulé, gigoté la lourde pirogue en bois (plusieurs centaines de kilos) dans 10 cm de flotte et de vase, on parvient finalement à lui faire trouver le chemin du marigot, plus profond.
Un magnifique lever de soleil nous fait vite oublier ce contre-temps et nous accompagne jusqu’à Sipo où l’on récupère, au passage, une famille de touristes franco-suisse retournant sur Dakar. Les 3h30 de pirogue se déroulent donc dans une ambiance bonne enfant à parler de tout et de rien mais surtout à se poser des « colles » des Incollables niveau CM2… Ça occupe !
11h : Arrivée à Djifer. À peine le temps d’accoster et de sortir la caisse du Cinécyclo qu’une jeune femme s’approche de nous, un large sourire aux lèvres : « C’est vous Cinécyclo !!! » Étonnante rencontre nous allant droit au coeur et qui marquera le début d’une belle série de « c’est vous Cinécyclo !!! ». Que d’honneur ! Ce petit vent de reconnaissance renforce notre motivation d’autant plus que les difficultés, jusque là minimes, ne font que commencer.
Il est temps de dire bye bye à Ansou, notre piroguier préféré à qui je tends la main gauche comme il est coutume de faire au Sénégal lorsque l’on souhaite vivement revoir la personne. Merci pour tout Ansou et à bientôt !
Mbodjien (52km dont 10 en charrette, bitume, sable) /
Dernier petit déjeuner en compagnie d’Alain. Un café, un peu de pain avec du chocolat, une cigarette puis un autre café… Ce rituel nous manquera ainsi que ses moments de délire (comme le jour où il s’était déguisé en esprit de la forêt toubab lors d’une fête populaire) et ses sujets de discussions : intarissables en plus d’être intéressants (normal, c’est un voyageur !).
On plie nos bagots et comme si de rien n’était, le groupe de trois s’élancent, Alain en tête, prenant une petite avance qu’on ne rattrapera jamais.
Yoro et moi arrivons dans le village de Mbodiène après un interminable détour, où il nous sera impossible de pousser le Cinécyclo tant la piste est sablonneuse. Une nouvelle route est pourtant en train d’être construite, mais impossible de s’y faufiler car des patrouilles du chantier veillent et ne rigolent pas avec des zigotos de notre espèce. On joue donc la carte « charrette à cheval » pour rejoindre le bitume distant de 10km : joker !
Dans le village catholique de Mbodiène, on rencontre François qui instinctivement nous invite à passer la nuit chez lui. Après une bonne douche, François nous fait découvrir les environs et nous emmène sur le littoral où l’on retrouve de sublimes demeures d’ambassadeurs, banquiers et autres richesses d’ici et d’ailleurs, amoureux de ce qu’on appelle ici « la petite côte ».
Une séance intimiste viendra agrémenter la soirée, même si Yoro et moi devons récupérer de l’étape du jour qui fut éreintante. Les rires et réactions du petit comité, venu assister à la séance, peinent à nous garder en éveil, tant nous sommes épuisés. Pourtant, après les projections, nous réagissons tel le chien de Pavlof à la musique du générique et, d’un bond, on se lève pour désinstaller, ranger, dormir !!!!
Mbour (50 km bitume) /
Lors d’un arrêt pipi sur la route qui nous mène à Mbour, j’aperçois au loin, une silhouette familière venant à notre rencontre. C’est Alain qui s’était finalement pris une bonne grosse pause à Joal, également exténué par le détour infernal. Notre trio réunifié roule donc une dernière vingtaine pour atteindre Mbour où nous attend un bon plat plein de calories et de vitamines (une fois n’est pas coutume).
Le restaurateur nous confie quelques tuyaux en médecines traditionnelles appris au fil des années comme, par exemple, sur les qualités antiseptiques et cicatrisantes de l’aloévéra et de la feuille de papaye. Bon à savoir quand on sait que l’accès aux soins médicaux est très limitée pour les populations rurales (tarifs élevés des médicaments, pouvoir d’achat inexistant, manque de case de santé, d’infirmier ou d’ambulances…). Les « bobos », eux, restent fréquents. Une simple égratignure ou une épine enfoncée peuvent rapidement devenir de vilaines infections, tant l’environnement est propice au milieu microbien.
Alors que Yoro m’accompagne en direction du Nord, Alain, lui regagne le Sud où il entreposera son vélo jusqu’à une prochaine aventure. Il nous souhaite bonne route et du courage, ça tombe bien, on a en a besoin, car ce qui nous attend s’appelle « vent de face » et ça risque d’être rude, très rude.
Une parenthèse administrative nous amène à croiser la route d’Aba Ba dans un cabinet d’assurance. Notre interlocutrice, peut-être curieuse mais surtout généreuse, finit par nous inviter à rester chez elle, le soir venu, pour y trouver repos et repas avant de repartir le lendemain.
Nous lui parlons de notre voyage, de nos projections, de nos rencontres… Aba devient vite comme une maman pour nous, attentionnée et bienveillante. Elle nous explique que son fils est actuellement à Dakar et qu’elle aimait lui faire de bons petits plats, alors, aujourd’hui, c’est nous qu’elle chouchoute se disant qu’une maman de substitution fera peut-être pareil pour son fils, là-bas. Une femme pleine de compassion tout simplement.
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